vendredi 10 août 2012

La lecture immersive selon Proust, ou, « Cette impression de rêve que l’on ressent à Venise »

En 1906, aux éditions de la Société du Mercure de France, Marcel Proust publie en préface à sa traduction de l’ouvrage du critique d’art anglais John Ruskin, Sésame et les lys, un texte titré : Sur la lecture. Il y prend ses distances d’avec Ruskin et y affirme des opinions personnelles assez tranchées sur ce qu’il nommera : « l’acte psychologique original appelé Lecture ».
 
Un acte psychologique

De quoi s’agit-il ? S’agirait-il en fait, sous la plume de Proust et sous prétexte d’une préface, davantage que d’un éloge général de la lecture, de l’approche d’une certaine pratique de cette dernière, au fond, de la lecture immersive ?
Ce court texte, de quelques dizaines de pages seulement, aurait-il pu être le "pré-texte" d’un texte que Proust n’écrivit jamais ?

Comment définir la lecture immersive sans sombrer avec le chant des sirènes du siècle encore nouveau et de ses gadgets informatiques ?
Simplement, peut-être, en me référant à ce qu’Alberto Manguel, pur de tout soupçon de technophilie, écrivit dans Une histoire de la lecture (Actes Sud éd., 1998) au sujet de la lecture privée, se penchant sur la lecture au lit ; le lit, à la fois territoire privé et espace de voyage s’il en est, pensons au “radeau-lit” de Colette. Rien de vraiment défini cependant. Comment définir un sentiment intime, indéfinissable, sans prendre le risque de le voir s’évanouir ?

Si depuis l’Antiquité on peut distinguer une pratique de la lecture intensive (le lecteur lit et relit par contrainte sociale un nombre limité de livres), de celle d’une lecture extensive (le lecteur lit librement de nombreux livres nouveaux), nous ne pouvons je pense que nous interroger sur le pourquoi du silence, tant des humanistes, des lettrés, que des philologues et des historiens du livre, concernant la lecture immersive, laquelle conjugue pourtant de fait, aux plaisirs d’une lecture extensive de découverte, certains des bienfaits supposés d’une lecture intensive.
Pourquoi ? Peut-être simplement parce que ce mouvement de l’esprit est si naturel au lecteur qu’il semble inutile de s’y attarder.
Peut-être n'est-ce qu'un effet du siècle, du nôtre, de ce monde d’écrans et de flux, qui nous conduirait à considérer avec une attention particulière ce que nos semblables ont naturellement expérimentés depuis l’aube de la lecture.

Comment (re)définir ce dont il s’agit, tout en nous positionnant par rapport au texte évoqué de Proust ?
La lecture, qu’est-ce ?
L’acte psychologique de lire ? Et lire alors qu’est-ce ?
Renouer avec la marche des premiers hominidés partant à l’aventure dans un monde où tout était à nommer ?
(Ces quelques mots d’Albert Bensoussan, dans sa présentation du chef-d’œuvre de Gabriel Garcia Marquez, Cent ans de solitude : « Là, tout sera à créer et l'on vivra le déchiffrement des premiers jours du monde, car "beaucoup de choses n'avaient pas encore de nom et pour les mentionner, il fallait les montrer du doigt". Et voilà l'humaine condition installée dans l'Histoire, dans la contingence, dans le devenir et le cyclique... »)
Et l’immersion ?
Plonger dans un texte, sauter à pieds joints dans sa lecture, au point d’en oublier son environnement, ses préoccupations ; aller comme au cours d’une longue marche à pas rapides, tout entier dans son souffle, et au point, sa lecture terminée, d’avoir l’impression très nette d’avoir vu le film de ce que l’on vient de lire alors qu’il n’en est rien, voilà qui relève et signe à mon sens une lecture immersive.
Mais d’abord, qu’entendons-nous ici par lecteur, ou lectrice bien entendu ?
Un qui voudrait ne pas mourir, non pas pour rester en vie, mais pour continuer à lire.
Rien de plus illusoire en effet que la plainte mallarméenne : « La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres. ». A partir du 12e siècle, si ce n’est plus tôt, il y eut plus de livre en circulation qu’un lecteur assidu ne pouvait en lire au cours de sa vie. Et l’augmentation de l’espérance de vie n’est rien comparée aux progrès, jadis de l’imprimerie, aujourd’hui de l’informatique.
 
Le lecteur Marcel Proust et les sortilèges
 
Proust commence sa préface par cette phrase (devenue presque aussi célèbre que le fameux : « Longtemps, je me suis couché de bonne heure. ») : « Il n’y a peut-être pas de jours de notre enfance que nous ayons si pleinement vécus que ceux que nous avons cru laisser sans les vivre, ceux que nous avons passés avec un livre préféré. ».
Avec les heures de jeux, les heures de lecture sont paradoxalement celles qu’enfants nous vivions le plus intensément. Une pensée à Bachelard qui écrivit : « L'enfance est certainement plus grande que la réalité. ».

Nous abordons là, si nous suivons bien Proust, un paradoxe. Car en effet, le souvenir, aujourd’hui, de ces heures de lecture, de ces heures d’apparente absence au monde environnant, ce souvenir se trouve habité non pas, ou presque plus, ou si peu, des souvenirs des lectures concernées, mais, du contexte de ces lectures, de ce à quoi précisément ces lectures nous rendaient absent.
« Tout cela, écrit Proust, dont la lecture aurait dû nous empêcher de percevoir autre chose que l’importunité, elle en gravait au contraire en nous un souvenir tellement doux (tellement plus précieux à notre jugement actuel que ce que nous lisions alors avec tant d’amour,) que, s’il nous arrive encore aujourd’hui de feuilleter ces livres d’autrefois, ce n’est plus que comme les seuls calendriers que nous ayons gardés des jours enfouis… ».
La lecture encre la nostalgie. Peut-être en est-elle la chambre ? Peut-être en fait-elle le lit ? Si cette idée me traverse l’esprit c’est que, dans ses digressions pour séduire sa dédicataire, la Princesse Alexandre de Caraman-Chimay, l’ami Proust évoque pour cette Hélène sa chambre idéale : « Pour moi, écrit-il, je ne me sens vivre et penser que dans une chambre où tout est la création et le langage de vies profondément différentes de la mienne, d’un goût opposé au mien, où je ne retrouve rien de ma pensée consciente, où mon imagination s’exalte en se sentant plongée [immergée] au sein du non-moi… ».

Il apparaît ainsi progressivement que l’objectif de Proust dans ce texte est plutôt en vérité de mettre en garde ses lecteurs sur la lecture : « La lecture ne doit pas jouer dans la vie le rôle prépondérant que lui assigne Ruskin » !
Exception faite donc de ces « lectures de l’enfance », comme des îles qui : « laissent surtout en nous l’image des lieux et des jours où nous les avons faites… ».
Proust parle alors de sortilège, et il faut bien reconnaître que son analyse est fine : « J’ai parlé de toute autre chose que des livres parce que ce n’est pas d’eux qu’elles [les lectures d’enfance] m’ont parlé. ».
Ainsi abordons-nous cet « acte psychologique original appelé Lecture », qui pourrait donc être infidèle aux livres eux-mêmes.
Dès lors, il s’agit de suivre Proust, de s’attarder avec lui sur cette fameuse conférence de Ruskin, dite conférence des « Trésors des Rois », donnée le 06 décembre 1864 à l’Hôtel de Ville de Rusholme, dans la périphérie de Manchester, conférence incorporée au corpus de cours que Ruskin donnait alors sous le nom de Sésame et les lys.
 
Le labyrinthe de nos lectures

Pour exposer à ses lecteurs la thèse développée par Ruskin dans ces cours, Proust cite Descartes pour lequel : « La lecture de tous les bons livres est comme une conversation avec les plus honnêtes gens des siècles passés qui en ont été les auteurs. ».
L’esprit général du propos est donc que, si l’on ne choisit pas sa famille, l’on peut choisir ses amis et, plus particulièrement encore : ses lectures.
Courir le monde, fréquenter la et les sociétés, serait ainsi perdre son temps, car, pour Ruskin précise Proust : « la lecture est exactement une conversation avec des hommes beaucoup plus sages et plus intéressants que ceux que nous pouvons avoir l’occasion de connaître autour de nous. ». (Les crapules n’écrivent-elles donc pas ? J’en doute !)

Préfacier critique, Proust a cependant prétention à aller plus loin que son prédécesseur, « à aller au cœur même de l’idée de lecture ». Lecteur exigeant, il déclare franchement que dès son enfance ce n’étaient pas tant les histoires, les personnages et leurs intrigues qui le motivaient dans ses lectures, mais, véritablement une recherche d’ordre esthétique, déjà ; la beauté opérante de telle phrase bien précise, et qui seule l’entraînait dans ce vaste mouvement de la lecture qui n’était plus alors toute entière que la recherche effrénée et souvent déçue, que le désir de “la belle phrase” retrouvée, plus loin, ailleurs, sur d’autres pages, à la fois autre et identique à elle-même par ce mouvement de lecture qu’elle nourrissait.
Illusion d’un petit Marcel posant pour la postérité en enfant modèle ? Peut-être pas. La lecture, dans sa perspective immersive, est bien de l’ordre du désir, du rapport entre satisfactions et frustrations, et ces désirs engendrés par de belles phrases incitatives sont comme les promesses informulées des jeunes filles en fleurs.

Là où en écho à nombre d’arts du roman, d’Édith Wharton ou de Milan Kundera, du Lector in fabula d’Umberto Eco (sous-titré : Le rôle du lecteur, et qui analyse la coopération interprétative du lecteur), Proust, précurseur, fait déjà un pas de plus, affirmant lui que : « notre sagesse [de lecteur] commence où celle de l’auteur finit. ».
Il introduit presque une dimension initiatique, en ce sens qu’il pourrait faire de la lecture un enseignement spirituel. Mais non. Il l’écrit d’ailleurs un peu plus loin dans cette fameuse préface : « La lecture est au seuil de la vie spirituelle : elle ne peut nous y introduire : elle ne la constitue pas. ».
La réalité de ce qu’il lit se dérobe sans cesse au lecteur, et c’est ce mouvement, comme la cape d’un matador de toros, qui fait le lecteur avancer et se prendre aux leurres spectaculaires de ses lectures et de leurs labyrinthes.
Ce n’est certainement qu’en auteur fécond d’autofictions que Proust peut se permettre d’adopter cette position critique vis-à-vis de la lecture ; la position hautaine d’un qui pratiquerait l’art exigeant des lectures disciplinées dont la mission seraient de stimuler la vie de l’esprit. 
 
« Cette impression de rêve que l’on ressent à Venise »

« Tant que la lecture est pour nous, écrit Proust, l’incitatrice dont les clefs magiques nous ouvrent au fond de nous-mêmes la porte des demeures où nous n’aurions pas su pénétrer [son rôle initiatique], son rôle dans notre vie est salutaire. Il devient dangereux au contraire quand, au lieu de nous éveiller à la vie personnelle de l’esprit, la lecture tend à se substituer à elle… ».
Le danger pointé ici par Proust serait bien que lecteur prenne les mots qu’il lit, les mots d’un autre, pour ses propres idées, à lui animal-lecteur, qu’il vive par procuration en quelque sorte la vie personnelle de son esprit, qu’il recherche la vérité, non pas en lui-même, mais, dans les bibliothèques, dans les livres, dans ses lectures, ce genre de vérités qui portent le pluriel et qui, Proust le souligne judicieusement avec une pointe d’aimable impertinence, sont : ces vérités que l’on peut prendre en notes pour qu’elles ne puissent nous échapper. Lecteurs et lettrés sont dans un bateau et cetera…
 
Alors que les siècles nous malmènent, rappelons-nous à chaque page que nous lisons, que pour nous autres lecteurs s’ouvre le vaste domaine de la pensée et de l’action, et que plonger dans la lecture peut être plonger dans le sens profond, universel si ce n’est éternel, de la vie, de la vie de l’esprit, sans limites d’aucune sorte, sans limites de temps, sans limites d’espaces, sans limites physiques.
Oui, « que de fois, conclut Proust, dans la Divine Comédie, dans Shakespeare, j’ai eu cette impression d’avoir devant moi, inséré dans l’heure présente, un peu du passé, cette impression de rêve qu’on ressent à Venise… ».

mercredi 8 août 2012

L'espace scriptural comme scène

J'ai décidé hier de tenter cette réduction : 33 pages ramenées à quelques lignes seulement, pour essayer de faire ressortir l'idée forte exprimée dans cet extrait ci-après donc de : La Grèce archaïque et classique - L'invention de la lecture silencieuse, sous la plume (sic) de Jesper Svenbro, première partie de l'essai collectif sous la direction de Guglielmo Cavallo et Roger Chartier : Histoire de la lecture dans le monde occidental.
Jesper Svenbro est directeur de recherche au CNRS en anthropologie de la Grèce ancienne.
Je pense être parvenu (en partie tout au moins) à mon objectif :
  
"Lorsque, vers le VIIIe siècle avant notre ère, l'écriture alphabétique fait irruption dans la culture grecque, elle arrive dans un monde qui est depuis longtemps celui de la tradition orale. [...] il semble inévitable de penser que les premiers lecteurs grecs aient pratiqué la lecture à haute voix. [...] [Le] caractère laborieux de la lecture doit alors être envisagé sous deux aspects, celui de la compétence du lecteur et celui de la présentation matérielle de l'écrit [en scriptio continua]. [...] les destinataires de l'écrit ne sont pas des lecteurs au sens strict du terme mais des "auditeurs" [...] Le public [du théâtre grec également] doit regarder et écouter. Passivement. Ce n'est pas aux spectateurs ni d'intervenir sur scène ni de lire le texte qui, absent de la scène, y régit néanmoins toute l'action. Mémorisé par les acteurs, le texte n'est pas visible au moment où il est dit. Les acteurs se sont substitués à lui, de façon à le traduire en "écriture vocale". [...] La séparation entre la scène, dont cette écriture vocale est livrée, et le public, qui écoute, est probablement assez nette pour avoir pu suggérer aux Grecs une séparation analogue entre écrit et lecteur. [...] Le lecteur qui lit dans sa tête [...] l'écriture lui semble tout simplement parler. Il est à l'écoute d'une écriture - de même que le spectateur de théâtre [...] l'intériorisation de l'espace théâtral dans l'espace écrit. Désormais, l'espace scriptural est susceptible d'être une scène [...] la lecture silencieuse, rendue mentalement possible par l'expérience du théâtre..."

dimanche 5 août 2012

Semaine 31/52 : Mangeur de livres

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon ressenti personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition. Ce post est donc le 31/52.

Cette semaine, comme les trente semaines qui ont précédé, j’ai été amèrement confronté à l’atmosphère des vendeurs de livres. Difficile à définir, il ne s’agit pas de personnes précises, mais d’un climat dans lequel je me trouve contraint. Ceux qui travaillent dans les abattoirs éprouvent-ils un dégoût pour la viande ? J’ai l’impression que mon travail en prospective du livre en dégoûte plus d’un ; peut-être n’est-ce que de la rancœur de ma part, ou une certaine lassitude. Alors passons…
Plus important : j’ai encore cette semaine fait l’expérience de la sérendipité. Une succession de circonstances fortuites sur mon emploi du temps m’a conduit à découvrir un livre qui s’avère capital à mes réflexions.
Une nouvelle fois ce fait me prouve l’ineptie criminelle des recommandations algorithmiques que le web tente de nous imposer. Criminelle, car il ne s’agit que d’une basse manœuvre commerciale qui aboutit en fait à un appauvrissement culturel et à un contrôle de nos lectures : vous avez acheté tel livre alors achetez tel autre, vos amis ont aimé tel livre vous l’aimerez surement. Baste !
Le livre dont il est question, de Frédérique Leichter-Flack (Alma éd., 2012) : "Le laboratoire des cas de conscience", montre bien en effet comment certaines fictions littéraires nous apportent des outils symboliques pour nous orienter dans la vie réelle. C’est là une belle illustration de la médiation de la littérature, aspect que nous négligeons en général, et, en particulier, dans le contexte actuel d’un passage de l’édition imprimée à l’édition numérique, laquelle, si nous nous basons sur la production actuelle des éditeurs pure-players, semble négliger de plus en plus le texte au profit d'images, de vidéos, d'animations.
 
Bibliothérapie à marée basse
Fondée en Alabama en 1924 par la bibliothécaire Sadie Peterson Delaney, Franklin M. Berry dans son ouvrage Analysis of processes in bibliotherapy définit ainsi la bibliothérapie, en 1978 : « Par bibliothérapie on entend un ensemble de techniques permettant de structurer une relation interactive entre un facilitator (médiateur / thérapeute) et un participant, cette relation étant, d'une certaine manière, fondée sur un partage mutuel de la littérature, au sens le plus large possible. ».
Mais chez nous les stigmates du bovarysme — identification excessive à un personnage de fiction, fuite dans l’univers romanesque pour compenser un quotidien frustrant, ont bien marqué les esprits rationnels, et il est toujours difficile aujourd’hui de dépasser ce préjugé pour envisager sérieusement les effets positifs que peuvent avoir de tels phénomènes de projection, et ce que la lecture immersive peut apporter de positif à la construction de sa personnalité.
La psychologie nationale incline davantage à l’auto-thérapie, par une pratique incontrôlée d’écrivant, qu'au recours à la bibliothérapie dans une posture assumée et réfléchie de lecteur.

Au milieu du 18e siècle l’on a constaté dans l’Europe de l’Ouest — en Angleterre, en France, puis en Allemagne, une véritable révolution culturelle, que les historiens désignent carrément sous le nom de « rage de lire », allant même jusqu’à parler parfois d’une : « épidémie collective de lecture » (Histoire de la lecture dans le monde occidental, collectif sous la direction de Guglielmo Cavallo et Roger Chartier, Éditions du Seuil, 2001). Ils expliquent cela par le passage d’une lecture intensive (peu de livres, souvent religieux ou philosophiques, régulièrement relus), à une lecture extensive (beaucoup de livres, souvent des romans, lus une seule et unique fois).

Aujourd’hui les outils informatiques permettent de pratiquer une lecture hyper-extensive.
La fureur de lire, qui aujourd’hui trouve sans doute un débouché sur le web, reste cependant tue, et elle n’est pas véritablement distinguée des autres pratiques des internautes (visionnage, écoute et/ou téléchargements, de musiques, de  vidéos, de jeux…). Naviguer sur le web, les blogs, utiliser les moteurs de recherches, les flux RSS, envoyer et recevoir des courriels, pratiquer les réseaux sociaux, c’est pourtant nécessairement lire.
 
Le devenir de la médiation de la littérature et l’explosion des pratiques de lecture sont deux facettes que nous devrions observer de très près je pense.
  
 
 
Dans sa toile L'opération burlesque, Jérôme Bosh représente une sage-femme, un livre en équilibre sur la tête (c’est là mon interprétation personnelle de ce tableau).
Dans La bibliothèque, la nuit…, ou alors dans Une histoire de la lecture, Alberto Manguel cite quelques cas de possessions par les livres, pour lesquels nous sommes en droit de penser qu’il ne s’agit peut-être pas exclusivement là d’une folie de la lecture, mais également en partie tout au moins, d’une folie de la possession de livres. Je ne retrouve pas ces passages qui se sont pourtant imprimés dans ma mémoire. Des fous de livres qui érigent leur bibliothèque en cocon, en utérus de papier ; d’autres qui l’organisent comme un univers, ou comme une encyclopédie, ce qui est presque la même chose.
Il se pourrait bien que pour beaucoup de lecteurs leur bibliothèque soit comme un exosquelette ; il se pourrait bien que s’il était possible pour eux de le réincorporer, ils puissent alors parvenir à l’unité qui leur permettrait de vraiment exister dans le monde ordinaire ; plus seulement par rapport aux textes, mais dans le contexte.
 
Moi, qui suis un peu comme eux, je n’ai trouvé pour l’instant que deux possibilités pour vraiment manger mes livres. Soit, les brûler pour en mélanger les cendres à ma pitance quotidienne, soit, les laisser macérer longuement dans de l’eau-de-vie, ou du vin rouge.
Que trouverais-je si je sautais le pas de la raison et que je me lançais effectivement dans cette entreprise de manger les centaines de livres de ma bibliothèque, en 2012, à Paris, en plein été ?
 
Prise au pied de la lettre, la métaphore du lecteur qui « dévore un livre » ne manque pas de sel, si l’on songe aux phénomènes de projections et d’intériorisations qui ont été à l’œuvre dans les processus d’acquisition de la lecture par l’espèce humaine : les bulles-enveloppes, vers 3200 ans avant notre ère, externalisations de la cavité buccale, de la bouche qui renferme les mots avant qu’ils ne deviennent paroles ; les globules, premières pièces de monnaies d'électrum au septième siècle avant notre ère, externalisations de l’œil [sur ces deux points se référer aux travaux de Clarisse Herrenschmidt] ; la lecture silencieuse rendue mentalement possible par l’intériorisation de l’espace théâtral [Jesper Svenbro], l’espace scriptural devenant une scène ; le papier après le parchemin comme projection de la peau humaine tatouée, scarifiée…
C’est pourquoi je pense, sans toujours le formuler lorsque l’on m’interroge sur le devenir des bibliothèques publiques, qu’elles devraient, en elles-mêmes, être envisagées puis dévisagées comme des livres, des encyclopédies.
 
Semaine après semaine je reste cependant subjugué de constater combien peu, dans l’interprofession du livre, sont apparemment soumis à ces influx de la lecture. Le métier, le pain quotidien à gagner, le train de vie à mener, les signes extérieurs de richesse à exhiber, l’entreprise à sauver, tissent une camisole à la folie de lire. Je crains fort de réaliser un jour que tous ces gens qui m’environnent dans mon activité de recherche en prospective du livre, ne lisent pas en fait, ou très peu. Ils n’ont pas le temps. Quant aux autres…
 

jeudi 2 août 2012

Le lisible vs le visible, ou (ne pas) "Montrer l'écrit comme spectacle..."

Une réflexion tranchée de Pascal Quignard, qui fait écho à mon travail, alors que de plus en plus d'éditeurs pure-players tendent à produire des livres numériques avec de moins en moins de texte et de plus en plus d'images, de vidéos, d'animations... 
 
"Toute image est à proscrire dans les livres qu'on ouvre et dans la lecture desquels on se plonge -- sinon celle de l'écrit lui-même -- par la simple raison qu'elle se substituerait à la lettre qui s'efforçait de suppléer à son défaut. Il est 1. contradictoire, 2. vain de demander au signe qu'il se transporte dans l'objet à quoi il réfère, car la signification est ce transport même ; c'est par voie de conséquence demander au signe qu'il se répudie comme signe ; c'est astreindre l'écrit à sa mort. L'image coupe l'herbe sous le pied qui est le langage. Montrer l'écrit comme spectacle : s'il apparaît, il s'anéantit ; il commence à être visible ; il cesse d'être lisible [...] Pour reprendre le verbe dont usait Gustave Flaubert, la mise en images "tue" les mots, puisqu'elle prétend se ressaisir de ce qu'ils avaient abstrait dans l'immédiateté continue pour le réintroduire dans l'univers physique."
Extrait de Petits traités I, Pascal Quignard, Folio, VIIe Traité : Sur les rapports que le texte et l'image n'entretiennent pas, pp. 132-133.
N.B. : C'est moi qui souligne.

Dans le contexte du passage de l'édition imprimée à l'édition numérique, la question se pose : et si maintenant le spectacle gagnait aussi le livre, le texte, l'écrit ?

mardi 31 juillet 2012

De l'arbre au labyrinthe, ou "Considérons le contexte comme si c'était un texte"

"Dans le fond, un texte obscurcit cette immense portion du monde auquel il ne s'intéresse pas ; et il la recouvre d'une couche de plâtre ; aux images que nous avons du monde, il substitue celles, propres et exclusives, de son univers possible, de sorte qu'avec beaucoup d'attention et un grand effort de l'esprit, elles s'impriment [sic] et dominent dans notre imagination. Cela fonctionne mieux encore si nous lisons le texte (ou le regardons, si c'est un texte visuel) comme si nous nous isolions avec lui et en lui "dans les ténèbres et dans la quiétude de la nuit", de sorte que "l'idée vive et intense" des nouvelles images "chasse les premières Idées". Un texte, dans la mesure où il nous absorbe, fait place nette du monde qui existait avant lui, dont il ne parle pas, auquel il ne fait aucune référence, comme si son discours était "une grande tempête de vents, de grêles, de poussières, qui ruine et inonde maisons, temples et lieux, qui confonde toute chose", comme s'il était, par rapport au monde extérieur, "un Homme ennemi... [qui] avec un groupe de compagnons armés, entre et passe impétueux à travers les Lieux, et avec des fouets, des bâtons et des armes chasse les idoles, frappe les personnes, fracasse les images, fasse fuir par les portes et sauter par les fenêtres tous les animaux et les personnes mobiles qui étaient dans les lieux" ; et qu'il nous présente à la fin un autre univers, à sa façon..."
Extrait de : De l'arbre au labyrinthe - Etudes historiques sur le signe et l'interprétation, Umberto Eco, Grasset éd., Biblio essais "le Livre de Poche", p. 138.
 
Dans le contexte du passage de l'édition imprimée à l'édition numérique, le rapport au texte, et notre rapport de lecteur à la lecture du texte et du contexte, sont remis en question.
Et si nous lisions ce contexte du passage de l'édition imprimée à l'édition numérique comme s'il s'agissait d'un texte ?
(C'est au fond ce que j'essaye de faire avec la prospective du livre et de la lecture.)

lundi 30 juillet 2012

30 semaines de réflexions sur les mutations du livre et de la lecture...

Depuis le 08 janvier 2012 je développe une chronique hebdomadaire dans laquelle j'essaye, ici et tant bien que mal, d'articuler les évènements des semaines écoulées avec les problématiques de la prospective du livre et de la lecture, et avec mes espoirs et révoltes du moment également.
Pour celles et ceux que cet effort intéresserait, qui auraient "raté un épisode" ou souhaiteraient une vue d'ensemble des chroniques à ce jour, le sommaire ci-après les conduira vers les différents posts : 

      

Moutons et perroquets
Semaine 02/52 :
Le livre à l’école du futur
Au seuil d'un autre monde
Semaine 03/52 :
Vers le biolivre ou le plasmabook ?
Je deviens peut-être un peu fou
Les droits des lecteurs menacés
Les droits des auteurs toujours bafoués
La partie immergée de l’iceberg
Semaine 05/52 : D’une possible trans-littérature dans le récit transmédia
Un monde en développement…
Nous sommes le Livre
Semaine 06/52 : Le Livre Absolu
Avatars de chair et Livres de pierre
Du lecteur au personnage sur la scène du monde
Saint-Germain-des-Prés en état de siège ?
Pendant ce temps l’histoire s’écrit…
Et si le hasard n’existait pas ?
Semaine 08/52 : Je est une bibliothèque
Le volume, ce ferment…
Je suis un bipède, un (dé)lire sur pattes
Les grands cimetières sous les livres…
Semaine 09/52 : De la diffusion à l’infusion
Psychogéographie et ubiquité
Comment qualifier cette naissance à la noospshère ?
Un prodige agissant. Une seconde Renaissance ?
Semaine 10/52 : Primauté des articulations
Une semaine "sérendipitielle" de remise en questions
Des phrases qui articuleraient notre présence au monde
« O tempora, O mores » - « Ô temps, ô mœurs ! » (Cicéron)
Des robots indexeurs et prescripteurs
Au-delà de tous les livres LE Livre dont nous sommes les héros
J’aurais besoin que mes avatars m’aident
Semaine 12/52 : Le livre comme objectif
Danger si le livre nous devient étranger
Ne plus rien attendre des professionnels du livre
Semaine 13/52 : Troubles à l’ordre public Bd St-Germain
Quand le 19ème revient hanter mes nuits
Ceux qui font tourner les manèges
Semaine 14/52 : La Grande Pâque à Singe-des-Prés
Immobile près de la rue Grégoire-de-Tours
Mais je suis une grenouille !
Semaine 15/52 : L’obsolescence du livre
Transfiguration du lecteur
Craindre un évanouissement de la lecture
Semaine 16/52 : Une vraie ambition pour le livre et la lecture !
La peste ou le choléra ?
Mais que serions-nous en droit de revendiquer ?
Semaine 17/52 : Cette semaine je me suis fait insulter par un éditeur !
Un baromètre trop optimiste
Pourquoi me laisserais-je insulter par un directeur de collection ?
Semaine 18/52 : Pas Occupy Saint-Germain-des-Prés
Le collectif Livres de Papier
Du loup blanc au mouton noir
Semaine 19/52 : Le lecteur chimérique
La rétractation technologique
La rétine et la peau
Semaine 20/52 : Le livre devant soi
Et j’appris un jour à lire…
Semaine 21/52 : Le livre imprimé comme chrysalide
Être ou ne pas être héroïque ?
Semaine 22/52 : Lire, de la symbiose à l’osmose
Un humanisme numérique ?
Un horizon sonore ?
Semaine 23/52 : L’utopie qui se dessine pour le livre
Utopie ou dystopie ?
Semaine 24/52 : Ma bibliothèque m’appartient-elle ?
La voilà la génération perdue !
Et puis il y a la nature humaine…
Semaine 25/52 : Je préfèrerai ne pas…
La désobéissance intellectuelle
En veux-tu ? En voilà !
Semaine 26/52 : Le pouvoir hallucinogène de la lecture
Quand je lis…
Lire avec un casque !
Semaine 27/52 : Et si l’écriture disparaissait ?
Quand la réalité rattrape la lecture
Vers une civilisation post-alphabétique
Semaine 28/52 : Futurologie du livre
Je me souviens la troisième phrase
Semaine 29/52 : L’impressionnisme de la lecture
La voix de son maitre
Ce qui fait image
Semaine 30/52 : Pourquoi je m’interdis l’autoédition
Tous ont droit. Mais où est leur devoir ?
La mutation de l’espèce

dimanche 29 juillet 2012

Semaine 30/52 : Pourquoi je m’interdis l’autoédition

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon ressenti personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 30/52.
 
Pas une semaine depuis que je me suis lancé dans cette chronique, pas une semaine sans qu’une information ne vienne révéler une prise de position ou un investissement des compétiteurs de l’édition numérique sur le marché de l’autoédition.
Cette semaine la plateforme d’autoédition FastPencil signait un partenariat avec la première chaine de librairies américaines Barnes & Noble. Récemment l’un des plus importants éditeurs américain, Pearson, a racheté une autre plateforme d’autoédition, Author Solutions Inc., et même le célèbre Projet Gutenberg de Michael Hart vient de lancer sa propre plateforme d’autopublication.
Comme le rappelle Hubert Guillaud : « Pearson n'est pas le seul éditeur à posséder sa plateforme pour accueillir les auteurs. Harper Collins possède Authonomy. Et le rachat de site d'autopublication semble bien être la nouvelle mode... Car il n'y a pas que les éditeurs que ces plateformes intéressent. Les gros libraires électroniques également cherchent tous à avoir une plateforme pour que les auteurs puissent publier facilement leurs œuvres (et qu'eux puissent les vendre via leurs appareils et leurs librairies en ligne... bien sûr). Barnes & Noble dispose de Pubit. Amazon a son Kindle Direct Publishing (ainsi qu'Audible pour les audio books et CreateSpace). Apple a lancé iBooks Author pour simplifier l'accès à iTunes Connect. Kobo vient de lancer Writing Life… » (Source : Les plateformes d’autopublication sont-elles l’avenir de l’édition électronique ?).

L'autopublication est le secteur du livre qui connaît la plus forte croissance, laquelle est par ailleurs certainement emblématique du développement dans la population des outils logiciels et des TIC.
A en croire l’actualité et les fruits de mon travail de veille, ce phénomène pourrait s'imposer comme un nouveau paradigme dans les prochaines années. Ce ne serait certes alors qu'une forme de retour aux sources, mais qui pourrait cependant en prévoir les effets de nos jours, dans des sociétés fortement alphabétisées et de plus en plus équipées en solutions technologiques ?
Le fait que cette question ne fasse pas l'objet d'un véritable débat de société marque selon moi un renoncement collectif à réfléchir l’avenir que nous construisons. A moins que nous laissions plus ou moins volontairement à d’autres le soin de restructurer le marché du livre et que nous ne fassions pas le lien entre la circulation des livres et celles de la parole et des idées. De la liberté de parole et de la liberté d’esprit.

Tous ont droit. Mais où est leur devoir ?
 
De plus en plus rares sont les lecteurs qui ne cèdent pas à la légitime tentation de l’écriture. L’injonction du Comte de Lautréamont se réalise : « La poésie doit être faite par tous. Non par un. ».
Mais pour avoir moi-même commis jadis quelques crimes en poésie, je m’interroge sur le mal que font à la poésie tous ces poètes autoproclamés, aux rangs desquels je me suis stupidement compté il y a quelques années. Tous les tableaux peints ne sont pas des peintures et la fête de la musique n’est pas celle de sa muse.
C’est dommage, mais force nous est de reconnaître que ni le talent ni le style ne sont distribués en une répartition égalitaire. Cela ne se décrète pas, ne se décide pas, ne se juge pas : cela se ressent ; dans le face à face nous ressentons bien que ce n’est pas, que c’est en marge de l’art.
Je ne juge pas les auteurs autoédités et je ne nie pas la probabilité que de véritables œuvres de la littérature y trouvent leur terreau. Je constate seulement que je dessine fort mal, que je chante comme une casserole, et que je suis loin de me satisfaire de mon écriture, et aussi, que le web nous le prouve à tous les instants : tout n’est pas bon à être publié.
Qu’est-ce qui empêche que cette question fasse l’objet d’un véritable débat de société ?
Qu’est-ce qui nous empêche de regarder en face ce déploiement des plateformes d’autopublication ?
Le fait que la chose flatte nos sentiments démocratiques. Le fait de nous considérer, nous et notre environnement, comme éternels, et de ne pas songer ni à ce que nous laisserons ni à ce qu’il restera de nos productions. Le fait d’être aveuglés par un unique modèle occidental américain (c’est évident dans l’actualité de l’édition numérique). Le fait de se couper du passé et de ses canaux de transmission (la perspective transhistorique que j’essaye de dégager en prospective du livre). Le fait aussi de ne pas remettre en question les savoirs acquis, ni la doxa véhiculée par les médias de masse. Etc.

Mais qu'adviendra-t-il le jour où presque tous les lecteurs seront également des auteurs ? Quelle chance aura un titre lié à des milliards de titres ? Qui le lira, à part son auteur et sa communauté ?
Et si derrière le mirage séduisant de l’autoédition, derrière les intérêts économiques de façade de quelques prestataires de services, vendeurs de rêves et de vent, flatteurs d’égos, se profilait une réalité plus dure ?
Quelle censure du livre serait plus efficace en effet que celle qui se mettrait insidieusement en œuvre en permettant à chacun d’écrire et de publier tout ce qu’il veut pour être uniquement lu par lui et les siens, petit cercle bien délimité, bien repéré, et sans risque qu’ils découvrent d’autres écrits que les leurs ?
  
La mutation de l’espèce
 
Je pense que favoriser l’autoédition est (depuis un certain temps déjà) le moyen qui s’est mis en action pour noyer dans le flux les voix singulières.

Et en ce qui me concerne, et ce d’autant plus qu’il ne s’agit aucunement de fiction (domaine pour lequel, au vu du népotisme et du formatage de l’édition, je comprends mieux l’opportunité de ce choix et j’y opterais peut-être moi-même), en ce qui me concerne donc, disais-je, considérant qu’il ne s’agit pas de fiction, mais, d’une réflexion critique sur le devenir du livre et de la lecture au cours du siècle : je m’interdis l’autoédition, je considère que, dans le contexte actuel, le refus des éditeurs est un acte de violence et je me garde le droit d’y répondre un jour par la violence.

Des auteurs se regroupent en collectifs et, à défaut de faire respecter leurs droits, espèrent garder suffisamment la maitrise des outils de publication, et espèrent pouvoir préserver des espaces de liberté. Ils espèrent beaucoup et j’espère avec eux. Des lecteurs apprennent la liberté d’esprit à leur contact et espèrent qu’ils pourront contourner les circuits imposés des plateformes et les recommandations algorithmiques. Toutes ces espérances, trompées par la réalité au cours des millénaires, survivent aujourd’hui ; et l’espérance folle que quelques individus de bonne volonté puissent se reconnaître et changer le cours du destin, demeure. Et cela déjà est inexplicable et devrait nous questionner davantage. C’est le drame.

Mais la réalité qui progresse elle aussi est sans commune mesure avec, par exemple, une colonne de chars sur la place Tian'anmen. Par rapport à cette chose-là, les chars chinois sont des fourmis. Et cela passera sur le corps de ces auteurs-là, de ces lecteurs-là, eux qui cherchent à orienter autrement le cours du livre et de la lecture pour les décennies qui s’ouvrent devant nous.
Et de quels mirages ce “devant nous” est-il agité ? De quelles hallucinations ? Ce n’est nullement un horizon plein de promesses. Les heures les plus sombres du passé semblent resurgir du néant pour venir habiter l’avenir et, lorsqu’elles se dissipent, c’est pour dresser devant nous l’éclat métallique d’hommes-machines obéissantes.
Qui sait si dans quelques siècles le choix ne se résumera pas à, soit, devenir des armes, soit, devenir des livres ?
De quelle côté penchera alors la majorité ?
Quel que soit le résultat, comment l’espèce des hommes-livres pourrait-elle survivre si un seul, un seul, était de l’espèce des armes.
La machinerie qui est lancée dans le temps, lancée sur nous, seuls des livres pourront la stopper. L'autopublication est-elle alors un danger supplémentaire, ou bien, la solution ? Peut-être, cette semaine, ai-je déliré un peu...