dimanche 29 juillet 2012

Semaine 30/52 : Pourquoi je m’interdis l’autoédition

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon ressenti personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 30/52.
 
Pas une semaine depuis que je me suis lancé dans cette chronique, pas une semaine sans qu’une information ne vienne révéler une prise de position ou un investissement des compétiteurs de l’édition numérique sur le marché de l’autoédition.
Cette semaine la plateforme d’autoédition FastPencil signait un partenariat avec la première chaine de librairies américaines Barnes & Noble. Récemment l’un des plus importants éditeurs américain, Pearson, a racheté une autre plateforme d’autoédition, Author Solutions Inc., et même le célèbre Projet Gutenberg de Michael Hart vient de lancer sa propre plateforme d’autopublication.
Comme le rappelle Hubert Guillaud : « Pearson n'est pas le seul éditeur à posséder sa plateforme pour accueillir les auteurs. Harper Collins possède Authonomy. Et le rachat de site d'autopublication semble bien être la nouvelle mode... Car il n'y a pas que les éditeurs que ces plateformes intéressent. Les gros libraires électroniques également cherchent tous à avoir une plateforme pour que les auteurs puissent publier facilement leurs œuvres (et qu'eux puissent les vendre via leurs appareils et leurs librairies en ligne... bien sûr). Barnes & Noble dispose de Pubit. Amazon a son Kindle Direct Publishing (ainsi qu'Audible pour les audio books et CreateSpace). Apple a lancé iBooks Author pour simplifier l'accès à iTunes Connect. Kobo vient de lancer Writing Life… » (Source : Les plateformes d’autopublication sont-elles l’avenir de l’édition électronique ?).

L'autopublication est le secteur du livre qui connaît la plus forte croissance, laquelle est par ailleurs certainement emblématique du développement dans la population des outils logiciels et des TIC.
A en croire l’actualité et les fruits de mon travail de veille, ce phénomène pourrait s'imposer comme un nouveau paradigme dans les prochaines années. Ce ne serait certes alors qu'une forme de retour aux sources, mais qui pourrait cependant en prévoir les effets de nos jours, dans des sociétés fortement alphabétisées et de plus en plus équipées en solutions technologiques ?
Le fait que cette question ne fasse pas l'objet d'un véritable débat de société marque selon moi un renoncement collectif à réfléchir l’avenir que nous construisons. A moins que nous laissions plus ou moins volontairement à d’autres le soin de restructurer le marché du livre et que nous ne fassions pas le lien entre la circulation des livres et celles de la parole et des idées. De la liberté de parole et de la liberté d’esprit.

Tous ont droit. Mais où est leur devoir ?
 
De plus en plus rares sont les lecteurs qui ne cèdent pas à la légitime tentation de l’écriture. L’injonction du Comte de Lautréamont se réalise : « La poésie doit être faite par tous. Non par un. ».
Mais pour avoir moi-même commis jadis quelques crimes en poésie, je m’interroge sur le mal que font à la poésie tous ces poètes autoproclamés, aux rangs desquels je me suis stupidement compté il y a quelques années. Tous les tableaux peints ne sont pas des peintures et la fête de la musique n’est pas celle de sa muse.
C’est dommage, mais force nous est de reconnaître que ni le talent ni le style ne sont distribués en une répartition égalitaire. Cela ne se décrète pas, ne se décide pas, ne se juge pas : cela se ressent ; dans le face à face nous ressentons bien que ce n’est pas, que c’est en marge de l’art.
Je ne juge pas les auteurs autoédités et je ne nie pas la probabilité que de véritables œuvres de la littérature y trouvent leur terreau. Je constate seulement que je dessine fort mal, que je chante comme une casserole, et que je suis loin de me satisfaire de mon écriture, et aussi, que le web nous le prouve à tous les instants : tout n’est pas bon à être publié.
Qu’est-ce qui empêche que cette question fasse l’objet d’un véritable débat de société ?
Qu’est-ce qui nous empêche de regarder en face ce déploiement des plateformes d’autopublication ?
Le fait que la chose flatte nos sentiments démocratiques. Le fait de nous considérer, nous et notre environnement, comme éternels, et de ne pas songer ni à ce que nous laisserons ni à ce qu’il restera de nos productions. Le fait d’être aveuglés par un unique modèle occidental américain (c’est évident dans l’actualité de l’édition numérique). Le fait de se couper du passé et de ses canaux de transmission (la perspective transhistorique que j’essaye de dégager en prospective du livre). Le fait aussi de ne pas remettre en question les savoirs acquis, ni la doxa véhiculée par les médias de masse. Etc.

Mais qu'adviendra-t-il le jour où presque tous les lecteurs seront également des auteurs ? Quelle chance aura un titre lié à des milliards de titres ? Qui le lira, à part son auteur et sa communauté ?
Et si derrière le mirage séduisant de l’autoédition, derrière les intérêts économiques de façade de quelques prestataires de services, vendeurs de rêves et de vent, flatteurs d’égos, se profilait une réalité plus dure ?
Quelle censure du livre serait plus efficace en effet que celle qui se mettrait insidieusement en œuvre en permettant à chacun d’écrire et de publier tout ce qu’il veut pour être uniquement lu par lui et les siens, petit cercle bien délimité, bien repéré, et sans risque qu’ils découvrent d’autres écrits que les leurs ?
  
La mutation de l’espèce
 
Je pense que favoriser l’autoédition est (depuis un certain temps déjà) le moyen qui s’est mis en action pour noyer dans le flux les voix singulières.

Et en ce qui me concerne, et ce d’autant plus qu’il ne s’agit aucunement de fiction (domaine pour lequel, au vu du népotisme et du formatage de l’édition, je comprends mieux l’opportunité de ce choix et j’y opterais peut-être moi-même), en ce qui me concerne donc, disais-je, considérant qu’il ne s’agit pas de fiction, mais, d’une réflexion critique sur le devenir du livre et de la lecture au cours du siècle : je m’interdis l’autoédition, je considère que, dans le contexte actuel, le refus des éditeurs est un acte de violence et je me garde le droit d’y répondre un jour par la violence.

Des auteurs se regroupent en collectifs et, à défaut de faire respecter leurs droits, espèrent garder suffisamment la maitrise des outils de publication, et espèrent pouvoir préserver des espaces de liberté. Ils espèrent beaucoup et j’espère avec eux. Des lecteurs apprennent la liberté d’esprit à leur contact et espèrent qu’ils pourront contourner les circuits imposés des plateformes et les recommandations algorithmiques. Toutes ces espérances, trompées par la réalité au cours des millénaires, survivent aujourd’hui ; et l’espérance folle que quelques individus de bonne volonté puissent se reconnaître et changer le cours du destin, demeure. Et cela déjà est inexplicable et devrait nous questionner davantage. C’est le drame.

Mais la réalité qui progresse elle aussi est sans commune mesure avec, par exemple, une colonne de chars sur la place Tian'anmen. Par rapport à cette chose-là, les chars chinois sont des fourmis. Et cela passera sur le corps de ces auteurs-là, de ces lecteurs-là, eux qui cherchent à orienter autrement le cours du livre et de la lecture pour les décennies qui s’ouvrent devant nous.
Et de quels mirages ce “devant nous” est-il agité ? De quelles hallucinations ? Ce n’est nullement un horizon plein de promesses. Les heures les plus sombres du passé semblent resurgir du néant pour venir habiter l’avenir et, lorsqu’elles se dissipent, c’est pour dresser devant nous l’éclat métallique d’hommes-machines obéissantes.
Qui sait si dans quelques siècles le choix ne se résumera pas à, soit, devenir des armes, soit, devenir des livres ?
De quelle côté penchera alors la majorité ?
Quel que soit le résultat, comment l’espèce des hommes-livres pourrait-elle survivre si un seul, un seul, était de l’espèce des armes.
La machinerie qui est lancée dans le temps, lancée sur nous, seuls des livres pourront la stopper. L'autopublication est-elle alors un danger supplémentaire, ou bien, la solution ? Peut-être, cette semaine, ai-je déliré un peu...
 

5 commentaires:

  1. merci de poser la question. En tant qu'auteur je me la pose aussi ! Par exemple en tant qu'auteur autoédité, je ressens une immense liberté et je me demande : qu'est-ce qu'être auteur quand on peut publier quand on veut, comme on veut ? Je ne me posais pas cette question avant. Avant je me demandais : Est-ce que je vais trouver un éditeur pour publier mon livre ? Que devient le rôle de l'auteur dans une société où chacun est libre de publier ou pas son texte ? Voilà la question que je me pose à quelques semanines de publier mon 2eme ebook.

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  2. Juste une remarque... Le phénomène d'auto-édition que vous décrivez recouvre en fait plusieurs réalités très différentes :
    1) L'auto-édition pure, où l'auteur publie en ebook un manuscrit que personne ou presque n'a vu.
    2) L'auto-réédition, où l'auteur republie lui-même en numérique des livres déjà publiés professionnellement sous forme papier, et dont il a récupéré les droits. C'est souvent le cas aux Etats-Unis, pour des tas d'auteurs pros. Un bouquin de Mike Resnick auto-édité, ça reste un bouquin de Resnick, avec la qualité qui va bien (je prends l'exemple de Resnick parce qu'il a justement republié une cinquante de ses anciens ouvrages et ça l'amuse beaucoup). Ça reste de l'auto-édition, techniquement, mais ça n'a rien à voir avec le cas 1).
    3) L'auto-édition coopérative, qui est un phénomène qui se développe un peu partout. Des auteurs, ou auteurs en devenir, s'éditent les uns les autres, se corrigent les manuscrits, les retravaillent parfois en commun, et les publient ensuite en numérique, en faisant l'impasse sur les grandes boîtes d'édition papier, jugées dépassées.

    Le niveau de qualité des textes publiés en auto-édition varie donc, de façon évidente (et le cas numéro 1 est suffisamment fréquent pour "polluer" un brin les débats). Mais les cas 2 et 3 sont intéressants. De plus, les prix des ebooks autopubliés sont en général nettement moins élevés que les prix imposés par les éditeurs papier, surtout en France.

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  3. Je ne crois pas à l'autoédition par tous. Pas plus qu'au blog ou au site de tous.
    Le métier fondamental d'éditeur est d'aider l'auteur a faire un meilleur ouvrage, à partir du momant où il croit à un public pour ce projet d'ouvrage. Les bons éditeurs, sont aussi rares que les bons auteurs, notamment parce que ce n'est pas rien d'interférer avec un vrai auteur-créateur.
    La fonction de base d'un éditeur est de faire que l'ouvrage capte une part non nulle du temps et de l'argent des lecteurs. Pas de lecteurs payants pas d'auteurs.

    Est ce que la fonction d'éditeur peut être tenue par un collectif? Je crains qu'un auteur ne puisse pas facilement dialoguer avec un autre auteur, forcément "différent" et créateur lui-même. Beaucoup moins facile de faire une interaction qui améliore suffisamment un ouvrage pour multiplier les ventes-lectures. Si un auteur avait ce talent, je lui conseillerais de devenir éditeur.:-)

    Ce qui est dérisoire dans l'auto-édition c'est la solitude de l'auteur et son ambition de "tout" faire lui-même, alors que la tendance est à l'hyper spécialisation. Comme l'autarcie en économie, l'autoédition ne peut aller loin et certainement pas faire de la masse qui accède aux temps-argents des lecteurs, de plus en plus exigeants?

    Selon moi, si les grands diffuseurs proposent des outils d'autoédition, c'est pour capter les centaines de milliers de petits ruisseaux d'auteurs débutants vs les quelques centaines d'auteurs déjà à niveau des exigences des lecteurs qui payent, donc valorisent, des ouvrages à 10-25€, et détecter ce que le public pourrait se mettre à lire, grâce au temps gaspillé des millions de lecteurs se laissant aller à lire-survoler des ouvrages non diffusés par les leaders professionnels hyperorganisés de l'édition "sérieuse" des "grands" tirages vers les grands publics lisant ce que tout le monde lit et discute entre lecteurs sérieux.

    Le danger imaginé par Lorenzo, d'une conspiration silencieuse pour noyer les idées et les talents dangereux dans l'océan de l'autoédition?

    Ce que peut permettre l'autoédition, comme WikiPedia, c'est une révolution au niveau du business model du "livre" (un contenu longuement travaillé pour une satisfaction de plusieurs heures du lecteur vs un blog ou un journal survolé en courant ).

    Vendre en bloc, 10-20-30€ avant que l'on ait pu lire plus que la 4ème de couv, la photo de l'auteur et les articles des critiques... m'a tjrs irrité (depuis 65 ans). Avec le papier on ne pouvait pas facturer au temps passé... OK.

    Aujourd'hui cela devient trivial et la vente devrait être au temps passé à lire un ouvrage, par qui le lit, acheteur ou ami. Diffuser ne serait plus un problème si le lecteur paye le temps qu'il passe avec-sur l'ouvrage... et l'auteur et ses amis pourrait améliorer son ouvrage, non pas avec son éditeur mais avec ses lecteurs, chacun au stade où il oserait prendre son risque d'essuyer les plâtres-encres... d'un nouvel auteur ou d'un nouvel ouvrage dans un nouveau domaine ou nouveau genre.

    Qui osera lancer la diffusion avec facturation au temps passé? Nous l'acceptons bien pour le mobile ?
    Cela concernerait toutes les oeuvres.
    Il faudrait soit des millions de survoleurs soit quelques lecteurs-voyeurs répétitifs qui nourriraient leurs auteurs qui les écouteraient peut être plus ?
    La manière d'éditer (améliorer) un ouvrage ne serait plus le sujet mais sa fécondité ... et là je suis sur que les éditeurs individuels et rares seraient enfoncés par les millions de bons lecteurs parlant à leurs auteurs préférés qui les écouteraient.

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  4. Merci à tous pour vos contributions :-)
    N.B. svp : dans cet opus de ma chronique comme dans les 29 précédents je n'ai pas une seule fois employé le terme de "conspiration" ; ce n'est pas à cela que je pense.

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  5. Lorsque j'ai lu le titre de votre article "pourquoi je m'interdis l'autoédition", j'ai cru qu'il serait question de l'autoédition papier. Je suis auteure, j'ai créé ma maison d'édition (A5 EDITIONS) et je n'ai pas encore pu publier d'auteurs pour de nombreuses raisons. J'ai donc commencé à me publier et je suis toujours très étonnée, lors de dédicaces, de voir tant de personnes venir à ma rencontre (moi la parfaite inconnue), acheter mes livres juste après un échange verbal (et passionné) de présentation de mon oeuvre et avoir des retours enthousiasmés. Dois-je tuer dans l'oeuf ma passion d'écrire parce que je ne trouve pas d'éditeur "sérieux"?
    Le numérique m'inquiète ... cependant il séduit bon nombre d'auteurs "par facilité". Cordialement.

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