Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque
semaine un billet exprimant mon ressenti personnel sur la semaine précédente,
dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du
livre et de l’édition.
Ce post est donc le 28/52.
A l’échelle d’une simple vie humaine, éphémère, les
métamorphoses des outils d’écriture et des dispositifs de lecture apparaissent
aujourd’hui époustouflantes.
J’ai appris à écrire au début des années 1960 avec un
encrier et une plume Sergent-Major. L’année suivante je passais au stylo plume
avec ses cartouches d’encre noire. Ce ne fut que quelques années plus tard que
je fus autorisé à utiliser des stylos billes. Jeune adulte, prétendant à la
poésie et à l’écriture dramatique, je “tapais” mes textes sur des machines à
écrire, longtemps mécaniques — et
même quelques années par fétichisme sur une vieille Underwood, puis, un jour,
électriques, puis, plus tard, électroniques.
Contrairement à certains pionniers de l’édition numérique
(je pense notamment à François Bon) je n’ai que très tardivement adopté un
ordinateur. Je ne suis vraiment pas d’une nature technophile et j’entretiens
des rapports difficiles avec celui sur lequel je tape (au lieu d’écrire) le
présent texte.
Ce parcours, sans doute très commun, concernant les outils
d’écriture, je peux aussi le retracer pour les dispositifs de lecture. Ainsi, longtemps,
j’ai lu des textes de toutes sortes imprimés sur des feuilles de papier reliées
entre elles et protégées par une couverture. Des livres tout bonnement. Du jour
où un ordinateur a pris place sur mon bureau j’ai commencé par la force des
choses, de cette chose là nommée “ordinateur”, à ordonner différemment mes
parcours et mes stratégies de lectures. En résumé je lis pratiquement autant
qu’avant sur papier, mais de plus en plus sur ordinateur, et parfois sur ce qui
est aujourd’hui appelé : une “liseuse”.
Je me souviens la troisième phrase
Cette semaine, dans la nuit du 10 au 11 juillet 2012 j’ai
fait un rêve étrange. J’assistais à une présentation d’un nouveau dispositif de
lecture. C’est dire comme cette question m’obsède littéralement !
Dans une atmosphère évidemment onirique sur laquelle je ne
chercherais pas à faire de la littérature, le speaker (d’Hachette Livre je
crois ?) répétait en introduction de sa présentation trois phrases clés, trois
phrases pour présenter les aspects révolutionnaires du dispositif en question.
Je me rappelle bien qu’il les répétait, comme pour que je
puisse les noter ou m’en souvenir (au réveil ?). Je me les répétais
mentalement dans mon sommeil. Dans mon rêve je me rappelle nettement que je les
notais, toutes les trois, sur un grand journal papier que j’avais avec moi, des
colonnes de textes imprimés en noir sur blanc. J’avais très peu de place pour y
écrire !
Tout à coup, pensant je crois qu’il y avait une pause avant
la présentation, laissant le journal derrière moi, je suis parti en courant
pour aller m’acheter un carnet. Évidemment, les rares magasins du quartier
inconnu dans lequel je me retrouvais, et qui en temps normal auraient été
susceptibles de vendre ce genre de choses, étaient tous fermés. Je vous fais
grâce des péripéties saugrenues courantes dans les rêves. Quoi qu’il en soit,
je me réveillais sans avoir pu retourner à cette présentation et avec en moi le
désagréable sentiment que j’étais parti brusquement en donnant l’impression
d’avoir pris la fuite.
Au réveil je ne me souvenais nettement que de la troisième
phrase que j’ai aussitôt notée.
La voici : « Vous aurez un gout de tomate dans
la bouche, parce que vous aurez vu un beau vert qui vous aura plu. ».
(Il faut entendre je pense : « une belle couleur verte qui vous
aura plu ».)
J’en conclus (avec subconsciemment l’écho des deux premières
phrases que je ne peux formuler) qu’il s’agissait donc d’un dispositif léger
(mais je ne sais pourquoi, car je ne l’ai pas vu dans mon rêve) destiné à
produire des synesthésies lors de la lecture, c’est-à-dire pouvant traduire
notre lecture, d’un texte je suppose, du monde peut-être, par un rapprochement
de sensations. Une sorte de générateur de synesthésies ?
Ce rêve n’a évidemment aucune valeur prédictive. Mais il m’a
profondément marqué.
Malgré les effets parfois époustouflants à l’échelle d’une
vie humaine, à ce jour nous avons finalement peu innové en matière de supports
de lecture depuis le papyrus.
Souvent nous croyons innover alors que nous réinventons plus
ou moins, tout simplement.
Au lieu de lire les livres, peut-être demain les dispositifs
de lecture liront-ils les lecteurs.
Les livres seront comme des miroirs.
La bibliothérapie — pratique
fondée en 1924 en Alabama par la bibliothécaire Sadie Peterson Delaney, ne sera
peut-être plus une simple thérapie d’appoint, mais la nouvelle doxa.
Les pratiques d’écriture se déglaceront dans les nouveaux
processus de communication. Les logiciels réagiront aux gestes et aux regards.
Les machines communiqueront entre elles avec une certaine intelligence. Nous
commençons déjà à observer tout cela depuis quelques années.
Notre cerveau nous projettera le film de nos lectures, comme
il nous projette chaque nuit celui de nos rêves.
Les interfaces de lecture seront d’abord probablement des
sortes de lunettes vidéos connectées avant, un jour, d’être directement
incorporées dans l’organisme des hommes. Les implants de puces électroniques se
pratiquent déjà. Il n’y aura alors plus d’hommes, il n’y aura plus de femmes
alors : il y aura des lecteurs, il y aura des lectrices, et la belle
histoire de l’uni-vers tous ensemble. Bien le bonjour chez vous !
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