vendredi 26 novembre 2010

Enfer du roman version Richard Millet versus le bel digital optimisme

Le titre accrocheur (L’enfer du roman), un tantinet commercial (mais c’est de bonne guerre), exprime assez imparfaitement ce dont il s’agit et que le sous-titre précise heureusement : des « Réflexions sur la postlittérature ».

Car, et en effet je le confirme : « Nous sommes entrés dans l’ère postlittéraire, assène avec raison l’auteur. Un spectre hante la littérature : le roman, devenu à ce point hégémonique que toute la littérature semble s’y réduire. Le roman tue le roman : le roman international, insipide, sans style, immédiatement traduisible en anglais, ou traduit de l’anglais, l’unique objet d’une littérature sans autre histoire que le jeu de ses simulacres, de ses plagiats, de sa fausse monnaie. ».
Cette postlittérature est-elle pleinement assimilable à cette "world literature" envahissante (Millet, en fin lecteur, remonte plus loin dans les racines du mal me semble-t-il), elle s’exprime cependant amplement en tous les cas, dans ces produits imprimés et dérivés, qui ne sont pas seulement mondialisés, mais, aussi, et à mon avis Millet à raison de le souligner avec cette insistance, anglicisés, c’est-à-dire en fait, américanisés.
Dans ma lecture de cet essai, qui me semble se refuser à en être un, par sa forme, forme et rythme qui se veulent épouser davantage la pensée et les humeurs, que la structure de la page, de la page imprimée, et, ainsi, se rapprocher du flux en ligne ; et que tous ces versets numérotés pourraient au fond très bien être des "posts" de blog, dans ma lecture de "L’enfer du roman" donc, je me suis attaché à discerner comment cette ère postlittéraire se conjuguait avec le passage de l’édition imprimée à l’édition numérique. Idée fixe.
En clair, la question que je me pose est : en quoi le passage de l’édition imprimée à l’édition numérique signerait-il, ou participerait-il, de l’apothéose de ce que Richard Millet désigne et dénonce comme postlittéraire ?
Il ne nous donne que quelques rares pistes dans ce sens :
« Les écrans divers sur lesquels se lisent les romans ne sont pas le signe d’une survie possible de la littérature, mais la possibilité qu’elle a d’en finir avec le tout-romanesque pour entrer dans [c’est moi qui souligne] l’au-delà du roman. ».
 A méditer (avec la part d’optimisme, d’espoir en tout cas, en cet au-delà du roman).

2984 de Georges Orwell

Non, ce n’est pas une faute de frappe.
Richard Millet rappelle dans son livre qu’Orwell disait que : « le délitement de la langue est un signe de dégradation politique, et cette dégradation prélude au totalitarisme. ».
Le roman d’anticipation 1984, ne s’appelle 1984 que parce qu’Orwell l’a écrit en 1948.
Au regard des transformations que nous vivons, ou dont nous pouvons être les témoins directs ou indirects, je me demande très sérieusement si cette contre-utopie (dystopie) ne serait pas prémonitoire ( ?). De l’à-venir. En 2984 ?
J’ai toujours lu "1984" de Georges Orwell en pensant à "Fahrenheit 451"(de 1953) de Ray Bradbury. (Et je compte relire "Le messager" d’Eric Bénier-Bürckel.)

Les éditeurs voudraient des recettes ?

Toutes ces réflexions se rapprochent de ma "Théorie des Cinq Cercles" que j’aurais peut-être prochainement l’occasion d’exposer une nouvelle fois, ici même, dans quelques jours, avec, je l’espère, une pertinence renouvelée et plus pointue, incisive.
Les enjeux dépassent de beaucoup l’horizon des petits sous à accumuler, et les professionnels qui ne voient qu’à court terme, sans méthodologie précise, ni surtout de vision stratégique à moyen et long termes, porteront leur part de responsabilité, quel que soit l’avenir.
Une charmante personne me disait récemment que ce que voulaient les éditeurs qui, bon gré mal gré, passent aujourd’hui au numérique, ce sont : « des recettes ». Sous-entendu, du concret, du pratique, sur les métadonnées, les DRM, la norme ONIX et tutti quanti.
Nonobstant, le double sens du mot "recette" est piquant je trouve.

Sur L’enfer du roman, de Richard Millet

A lire, la lecture de Cyril de Pins sur Boojum-Mag. Sa conclusion : « "L’enfer du roman" pourrait se dire aussi "entertainment", divertissement, consommation, "best-seller", cette dernière expression disant honnêtement qu’il n’est plus question d’expérience esthétique, mais d’expérience commerciale. Dès lors, c’est celui qui a la puissance financière qui fixe les formes, la langue de la transaction et les termes du contrat. »
A écouter, le récent entretien de Richard Millet avec Laurence Plazenet à la BPI : « Ecrire, écrire, pourquoi ? »
L’enfer du roman, Richard Millet, Gallimard, septembre 2010, 276 pp., 18,90 €.

4 commentaires:

  1. Lire l'interview de Millet et Nabe dans le Point de cette semaine, gratuit sur iPad ;-).
    Hégémonie du roman, ces mots raisonnent autrement à mes oreilles. Tel le paragone des arts à la renaissance sur la prééminence d'une discipline, la peinture, sur les autres.
    Hors du roman pas de littérature ?
    A creuser.

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  2. @ Marc-André : merci pour ce commentaire :-)
    Merci aussi de m'avoir signalé cette interview Millet, Nabe qui m'avait échappé (et qui est aussi gratuite en ligne ici http://www.lepoint.fr/culture/millet-et-nabe-les-maudits-parlent-18-11-2010-1266825_3.php ;-))

    Pour le reste, essentiel : oui, voir ma citation de Millet avec cette référence à un "au-delà du roman".
    Si nous entendons par littérature : une dimension esthétique (du récit ?) elle peut alors s'exprimer ailleurs que dans le roman (et peut-être même dans la peinture ;-)

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  3. Absolument, dans la peinture aussi. C'est un vieux débat, toujours d'actualité à mon avis, opposant de grands noms. Un jour au Rostand ;-)

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  4. Les romans sont des créations esthétiques mais triviales (cf. la leçon inaugurale de Roland Barthes) et publiées en quantité, tandis que la littérature scientifique et philosophique est peu diffusée. Si l'on excepte les écritures sacrées, la valeur d'une oeuvre abstraite tend à se conserver parce que ses éditions en sont rares et donc chères. Le site Amazon market platz livres d'occasion l'illustre bien. Bonne continuation.

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