samedi 6 octobre 2012

L’avenir du format poche face au livre numérique

J'ai eu l'occasion hier, 05 octobre 2012, d'intervenir dans le cadre de la journée professionnelle d'ouverture du Salon Lire en Poche de Gradignan (Gironde) à une table ronde, modérée par Emmanuelle Andrieux de l'ECLA : "L'avenir du format poche face au livre numérique", en compagnie de Narges Temimi (Responsable du développement numérique du groupe d'édition Libella) et de Patrick Gambache (Directeur du développement numérique du groupe La Martinière / Le Seuil, directeur de la filiale poche Points, président de la plateforme Eden Livre et vice-président de la commission "Numérique et nouvelles technologies" du SNE).

J'avais choisi d'adopter le point de vue des lecteurs. C'était bien sûr faire fi des réelles contraintes, et légales et économiques, qui s'imposent aux éditeurs, et donc prendre le risque de déplaire et d'agacer.
Nonobstant, face à ces deux professionnels de l'édition, de bonne volonté je crois, et, il me semble, conscients des risques de vampirisation du marché (notamment par Amazon), je n'ai pas vraiment senti, ni d'enthousiasme pour ce que nous appelons, un peu facilement il est vrai "l'édition numérique" (mon point de vue sur cette question : "L'édition numérique n'existe peut-être pas"), ni je n'ai eu l'impression que leurs entreprises leurs donnaient les moyens humains et financiers d'être à la hauteur des enjeux.
Au final : l'impression que nous discutons sur le Titanic du nouveau bateau à construire, sans avoir seulement l'idée et encore moins la volonté de changer de cap. L'impression de se rapprocher de l'iceberg, d'entendre depuis dix ans le même discours officiel du Syndicat national de l'édition.
Triste. Et inquiétant quelque part :-(
 
Synthèse de mon intervention
 
« Dans le numéro de la revue Gallimard, Le débat, consacré récemment au livre et au numérique, Erik Orsenna, auteur d’un Petit précis de mondialisation titré : Sur la route du papier (Stock, mars 2012) et qui soutient par ailleurs l’association Culture Papier, est formel : « le livre de poche, vu la qualité croissante des liseuses, est, dit-il, à mon sens condamné. C’est un système économiquement fou et écologiquement désastreux. » (Le débat, N°170, p.108). Il souligne également qu’il doit y avoir seulement une vingtaine de librairies en France où son prix Goncourt L’Exposition coloniale serait disponible au format poche, alors que le téléchargement d’une version numérisée est possible 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, et de n’importe où.
 
Une histoire qui suit son cours…
 
Au cours du siècle précédent le marché du livre de poche s’est structuré comme un socle stabilisant pour le marché français du livre et il repose toujours en grande partie sur la prescription de l’éducation nationale et sur l’impulsion donnée par les adaptations télévisuelles, donc, avec un éventail bien moins étendu que ce que peut / pourrait apporter une offre numérique (voir par exemple déjà Gallica ou WikiBooks entre autres…).
En octobre 2012, la problématique qui se présente avec le développement de l’édition numérique dépasse les simples questions de différentiel des prix de vente entre format poche et format numérique et de chronologie des parutions.
La véritable question n’est pas celle de la coexistence des deux formats, mais, d’évaluer la durée maximale et les conditions d’une possible coexistence, et de mettre rapidement en place un modèle économique viable pour assurer la transition, sans abandonner pour autant le marché du livre numérisé aux KindleStore d’Amazon et iTunes d’Apple, ou à Google et sa boutique en ligne Google Play, ou bien à d’autres modèles liant fabricants de tablettes à distributeurs (Kobo / Fnac par exemple).
Il faut envisager le contexte par rapport aux lecteurs, qui sont les acheteurs, les clients. Et de tous temps les lecteurs ont recherché des supports de lecture portables, facilement maniables, légers, peu encombrants et peu chers. L’histoire du livre de poche commence, au plus tard, à Venise vers 1501 avec l’imprimeur et libraire Aldo Manuzio lequel, à son époque où, comme aujourd’hui l’édition numérique, c’est alors l’imprimerie typographique qui prend son essor, comprend l’importance de rendre les livres facilement transportables.
Or, à ce jour d’octobre 2012, l’offre de versions numérisées des titres au format poche reste bridée (peu de titres) et les prix surévalués pour maintenir artificiellement la chaine économique de l’imprimé.
Les lecteurs doivent encore souvent acheter en version imprimée des classiques de la littérature mondiale auxquels, au 21e siècle, nous pourrions penser qu’ils seraient en droit d’y accéder au titre du patrimoine culturel universel de l’humanité. Ils doivent souvent payer pour des livres du domaine public. Par exemple, l’œuvre de Bernanos ou de Camus, Le Petit Prince de Saint-Exupéry, sont payants pour les lecteurs français mais téléchargeables gratuitement et légalement par les internautes des autres pays ! Bien que légalisé dans la forme, ce procédé est foncièrement malhonnête, en tous cas injuste.
 
Un lectorat qui résiste face aux politiques commerciales
 
En mai 2012 Hachette Livre a aligné les prix de vente des versions numériques de ses œuvres de littérature parues en format poche pour 2000 titres. Mais souvent les versions numérisées demeurent un peu plus chères que le format poche, alors que les lecteurs qui ont investi dans une liseuse sont pénalisés par les DRM et que, selon les conditions d’utilisation des plateformes de téléchargements (Apple, Amazon, Google…), ils ne sont pas propriétaires des livres téléchargés. Mais, fixer un juste prix du livre numérisé par rapport à celui du livre de poche accélèrerait la transition, alors que le poche reste un débouché lucratif pour l’édition.
Dans ce contexte il faut je pense prêter attention à un signal faible dont les observateurs attentifs peuvent déjà mesurer, à la fois l’expansion géographique et le nombre croissant de pratiquants. Je veux parler du développement dans le lectorat de pratiques non-marchandes. Au-delà du fort développement d’un marché du livre d’occasion, se développent en effet, pour le livre imprimé, et particulièrement pour le format poche, des pratiques fondées sur le concept de la consommation collaborative : bookcrossing et Circul’Livre, bibliothèques spontanées issues du mouvement américain des Little free libraries, sites web de dons et d’échanges gratuits (biglib.fr) ; avec en plus, pour le livre numérisé, en marge du piratage, plusieurs sites web de qualité proposant gratuitement et en toute légalité de très nombreux titres du domaine public ou sous licence Creative commons. Dans ce contexte, acheter un livre de poche (et cela m’arrive encore assez souvent) est parfois plus la résultante d’une contrainte que d’un choix.
 
Seule une offre basée, non seulement sur les contingences économiques, mais aussi, sur une véritable ambition éditoriale, avec de nouvelles traductions (l’unique traduction de Maurice Betz de La montagne magique de Thomas Mann date de 1931), de nouvelles préfaces, des bonus, un QR Code pour télécharger la version ePub ou une application Androïd avec des enrichissements multimédia, seule l’innovation pourrait aujourd’hui donner un second souffle au livre de poche imprimé. »

5 commentaires:

  1. Toujours très intéressant, merci!

    RépondreSupprimer
  2. Bonjour, Cette article est très intéressant. Le livre numérique va faire disparaître les libraires. Les maisons d'éditions n'ont plus besoin de libraires pour vendre leurs livres numériques. Ils développent leurs propres plateformes de vente. mais le livre ne disparaîtra pas. Il y aura toujours des livres en édition de luxe et publié en petite quantité.

    RépondreSupprimer
  3. Hum... Je ne suis pas du tout d'accord avec cette vision.

    Si on observe le poids du livre de poche entre 2003 et 2010 avec les chiffres clés du secteur : http://www.centrenationaldulivre.fr/?Chiffres-cles-du-livre on se rend compte que le poids du livre de poche dans la production globale de titre a légèrement baissé (18,5 % en 2010 contre 19,5 % en 2003). La part du poche représente désormais 25,2% des exemplaires vendus contre 28,7% en 2003. En 2010, il ne représente que 12,9% du CA de l'édition contre 13,4 % en 2003. Cela montre certes une lente érosion du poche, mais une présence encore forte. 1/4 des livres vendus sont des livres de poche. Cela montre également que les livres qui atteignent le format poche sont moins nombreux qu'avant : les éditeurs (de poche) sont certainement plus attentifs dans leurs sélections qu'ils ne l'ont été pendant longtemps. Dit autrement, ils ont tendance à publier moins de titres à les vendre beaucoup plus et certainement à des prix moins élevés. Si c'est cela la réalité qu'est devenue le poche - une sélection toujours plus étroite de bestsellers à petit prix - autant dire que le marché du poche à encore une longue existence devant lui, d'un point de vue de lecteur. Pour ces titres, je ne suis même pas sur que le numérique soi une alternative, mais bien un autre canal de diffusion. Les bestsellers en poche sont là pour longtemps... On les trouvera tant au format poche qu'au format numérique. Le problème, c'est pour les livres qui ne sont pas des bestsellers, pour les livre dont on fait un faux passage en poche (et qui restent à un prix qui n'est pas un prix de poche, etc.). Pour ces livres là, le passage en poche est un moyen de compléter le compte d'exploitation du livre (qui ne marche pas tout le temps) et il est fort probable que demain, ce rééquilibrage se fasse sur les versions numériques plutôt que sur un format poche.

    Toute la question est de savoir comment faire du poche avec le numérique, quand justement le numérique détruit ce qui faisait la spécificité du poche (son format, son côté pratique, son prix). On voit peu d'éditeurs réfléchir à cela pour l'instant. Hachette a réaliser une harmonisation intéressante, comme tu l'indiques, mais aucun éditeur n'a par exemple annoncé une politique tarifaire claire sur ses ouvrages : passage des titres numériques à 50 % du prix de départ après X mois. Versionning des titres (versions dégradées, sans ajouts pour le passage à un prix plus bas, etc.). C'est de politiques à long terme pour équilibrer le compte d'exploitation de leurs titres dont les éditeurs auront demain besoin...

    RépondreSupprimer
  4. Est-ce la fin du livre ? Si oui, ça serais la fin du savoir libre et accessible à tous, la liseuse c’est la fin de l’humanité et le commencement de la fin de l’homme.

    RépondreSupprimer
  5. Merci pour cet bel article et d'après mon humble avis, même si le numérique a connu un réel essor ces dernières années, il reste que le livre papier ne sera pas mis au placard. Je vous propose également de passer sur mon blog où je reviens sur la question du numérique, vous trouverez le lien dans mon nom.

    RépondreSupprimer