Durant l’année 2012
j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon
sentiment personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien
évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le
50/52.
Je me demande
souvent quelle serait aujourd’hui la manière la plus féconde de repenser le
livre ?
Peut-être comme un symbolon ?
Un symbolon
était dans la Grèce archaïque un fragment d’objet cassé en deux parties,
chacune remise à un contractant. Nous sommes là à l’origine du terme et du
concept de symbole. C’est dans le lien invisible, la relation qui unit les deux
parties et qui leur permettra le moment venu de se reconnaître complémentaires,
l’une comme l’autre, liées l’une à l’autre, que réside toute la puissance
invisible du symbolon, sa puissance dans la séparation même, par
opposition à celle du diabolo qui, lui, divise.
Se délier de son odyssée ?
« Lire,
nous l’avons peut-être oublié, c’est se tenir à la limite d’un domaine
dangereux, à une frontière d’où nous appelions et en même temps rejetions un
autre à la ressemblance de celui que nous logions, un autre auquel il fallait
bien faire appel pour justifier les incursions que nous risquions dans les
territoires secrets que nous abritions. Cet autre de soi, cette ombre portée,
cet autre foyer de l’ellipse qu’on peut poser comme une hypothèse nécessaire,
ou un artifice de calcul, quand nous lisons, à travers nos émotions ou les
profits d’un savoir, ne faisons-nous peut-être qu’en convoquer la présence, que
créer les conditions de son observation. » (Jean-Louis Baudry, “Un
autre temps“, Nouvelle revue de psychanalyse, 1988, “La lecture”).
Comme il faut un
point d’appui pour qu’un levier puisse être un outil opérationnel, cette
citation, ci-dessus, a joué ce rôle alors que je m’interrogeais sur ce que
m’apportait en vérité la lecture.
Je me demandais comment
imaginer à la lettre une civilisation post-alphabétique, et supposer ses
équivalences et ses représentations mentales avec le monde qui est le nôtre
aujourd’hui ?
Comment nier le
mystère qui surgit dès lors que l’on s’éloigne du présent ?
En fait, tant
l’origine que l’avenir du livre et de la lecture ne sont pas opaques à ma
réflexion : ils sont, tout simplement, mystérieux. Comme écrits sur une
pliure, difficilement déchiffrables.
Il se pourrait
cependant, d’après ce dont je puis avoir l’intuition, que notre univers soit
une vaste structure narrative.
Je constate
souvent, comme vous-mêmes je pense, que nos vies sont forcément, férocement
parfois, romanesques, même si nous ne sommes généralement que des personnages
secondaires, troisièmes couteaux, seconds rôles au mieux le plus souvent, mais
toujours personnages et jamais figurants ; des personnages en quête
d’auteur.
Dans l’histoire
littéraire nous pourrions trouver des marqueurs de cela je pense, dans les
récits sans intrigue notamment, la veine des antihéros et celle de
l’autofiction, les expérimentations de l’Oulipo et de l’Alamo (Atelier de
littérature assistée par les mathématiques et les ordinateurs), des écritures
numériques plus récemment et des générateurs de textes…, autant de pas vers un
horizon dont les lignes semblent se préciser depuis 1971.
Seulement,
l’actualité quotidienne en parasite l’écho narratif, brouille la ligne sur
laquelle nous inscrivons vaille que vaille nos vies et nos vices dans le
(dis)cours.
Déterminer notre
place sur la portée, notre tonalité propre, le juste interligne sur lequel nous
pourrions nous rattacher au récit, cela reste, cela est possible je pense, mais
cet exercice fait de nous des funambules, des personnages de fiction.
Dé-lire ainsi sa
propre histoire, sa légende personnelle, permettrait-il de se délier de son
odyssée ?
Suspendre ses
préjugés et réévaluer son propre personnage par rapport au récit global,
universel, seraient donc les étapes pour parvenir, par les livres et la
lecture, à une redécouverte de soi, d’un moi-lecteur tout frétillant, comme un
petit poisson d’argent dans les filets d’un « Il était une fois… ».
Dans l’espèce
humaine, l’embranchement des lecteurs, ces plantes mélancoliques que sont les
lecteurs, eux, les lecteurs, seraient sans doute plus sensibles que les autres
à ces influx que j’évoque ici. Peut-être.
Les livres seraient
peut-être ainsi des symbolons, reliant les lecteurs par la lecture, ce
lien invisible, cette relation qui unit dans la distance et l’histoire, ce que l’espace
et le temps ont désuni.
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