Durant cette année 2012 qui s’achève j’avais décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon sentiment personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Cet opus est donc le pénultième, le 51/52.
L’organologie, de par son étymologie, nous rappelle utilement que nos organes, naturels (comme le cœur ou l’estomac) ou artificiels (comme les livres et les téléphones portables) sont des instruments. Car l’organologie, suivant sa définition wikipédienne : « a pour objet l'étude des instruments de musique et leur histoire ». Analyses iconographiques (picturales, sculpturales et manuscrites), recherches musicologiques et ethnomusicologiques, historiques, archéologiques et technologiques en sont les principaux moyens.
Je pense qu’aujourd’hui une sorte “d’organologie des livres”, comme dispositifs de lecture, serait nécessaire.
Des bipèdes hypertextuels
A considérer de tous temps les efforts de l’espèce pour lire le monde, et depuis les débuts de l’écriture pour lire les livres (quelles que soient leurs formes temporaires), je me demande si le façonnage que nous avons appliqué, que nous appliquons à la nature, ne témoignerait pas simplement d’une forme d’extériorisation, de projection, de notre imaginaire, de nos imaginaires de lecteurs.
Que cherchons-nous en somme à (re)produire ?
Nous devrions bientôt, si nous suivons la voie indiquée par les transhumanistes, pouvoir mieux discerner les articulations entre fiction (mythes) et monde (réalités) et science-fiction.
Je vois en ville, je vois dans les transports en commun, de plus en plus de bipèdes de mon espèce vivant apparemment en mode hypertexte. Leurs connexions permanentes les rendent intrinsèquement hypertextuels. Contrairement à moi, ils ne sont plus dans la linéarité, plongés dans le contexte, mais dans une forme d’échappatoire à l’espace physique et urbain. Ils “s’ubiquitisent” dans une spatio-temporalité où l’architecture du web et celle de nos kystes urbains, de plus en plus, s’hybrident.
Durant des siècles nous avons configuré le livre, comme support, à notre format mental, et cherché à ramener l’univers entier dans cette boîte de Pandore qu’est aussi tout volume imprimé, en ce qu’il renferme du tragique de notre condition.
Aujourd’hui, la ville conçue comme cinquième écran (après celui de cinéma, de télévision, d’ordinateur, de smartphone) se réaffirme dans la lignée des cités antiques où l’écrit se donnait à lire sur les façades de ses volumes architecturés. Une ville était une bibliothèque, du moment que nombre de ses bâtiments y étaient des livres habitables et habités.
Considérer les livres, maintenant, comme des édifices de verre, qui laissent voir leurs contenus, leurs habitants et leurs vies, et qui laissent notre regard passer au-travers, au-delà ; considérer les livres comme des prismes rendant visibles le rayonnement des mots.
Se relier à son odyssée ?
Alors pourrait-on parler d’une reterritorialisation du livre ?
La lecture poursuit-elle dans nos concentrations technologiques la conversation des sociétés pastorales ?
Partout sur Terre, sans doute pas seulement en Australie, les pistes chantées des aborigènes ont créé le monde en même temps qu’elles le découvraient. Les pas en avant comme les pas de côté établissaient le chemin en le révélant pas à pas, en désignant puis en nommant son paysage.
Je crois avoir fait pareil en faisant mes premiers pas et en acquérant les premiers mots vers 1962 sur le boulevard Richard Lenoir.
La fiction comme laboratoire, le récit comme réservoir de la pensée, le livre comme territoire, devraient-être des intuitions à prendre davantage en considération par les chercheurs je pense.
Car ce qui s’opère aujourd’hui au 21e siècle se réalise dans la déstructuration du livre. Et nous devons bien en prendre acte. Et cela nous ramène à l’aventure. Face à de grands espaces de temps. Vers le passé. Vers le futur.
Nous n’avons pratiquement plus d’autres choix en ce 23 décembre 2012 que de renouveler notre expérience du livre.
Imaginer pour l’humanité des futurs inimaginables ne doit plus être laissé aux seuls auteurs de science-fiction. Outre que j’ai prétention à faire entendre ma voix en tant que prospectiviste du livre, je pense que nous devons oser forcer l’inimaginable-innommable à nous relier aux aborigènes des premières pistes, quel que puisse être le prix à payer ; au-delà les siècles, ceux de la pierre gravée et ceux de la tablette internet, d’avant même, et d’après aussi.
Décrypter ce passé. Anticiper ce futur.
Beaucoup de livres sont en fait de véritables grimoires.
Pensons à eux. Le sol semblait solide sous leurs pieds. Mais il ne fallait pas s’y fier. Ce n’était pas tant avec l’espace qu’ils avaient à faire, les premiers. Mais au temps. Dans les filets duquel nous sommes toujours pris.
Moi écrivant.
Vous me lisant.
Cela dit : joyeux Noël.
N.B. : illustration, Exterior photo of the Bibliotheca Alexandrina (library) in Alexandria, Egypt. Stone relief mural on library's stone facade. Credits Photo taken by Hajor, December 2002. Released under cc-by-sa and/or GFDL.
Cher Lorenzo, explorateur, poétique enthousiaste,quelle belle année passée à cheminer entre tes lignes ! Merci et Joyeux Noël.
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