mardi 24 juillet 2012

Le livre comme instrument de lecture

" on pouvait voir Mrs. K dans sa pièce personnelle, en train de lire un livre de métal aux hiéroglyphes en relief qu'il effleurait de la main, comme on joue de la harpe. Et du livre, sous la caresse de ses doigts, s'élevait une voix chantante, une douce voix ancienne qui racontait des histoires du temps où la mer n'était que vapeur rouge sur son rivage et où les ancêtres avaient jeté des nuées d'insectes métalliques et d'araignées électriques dans la bataille."
Chroniques martiennes, Ray Bradbury, 1946 (traduction de l'américain par Jacques Chambon et Henri Robillot).

Voir le post bibliographique de 2011 : Imaginer et construire le livre de demain... 

dimanche 22 juillet 2012

Semaine 29/52 : L’impressionnisme de la lecture

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon ressenti personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 29/52.

La voix de son maitre
 
Je me souviens ces pochettes de disques vinyle avec ce label : La voix de son maître.
Qui sont les maitres aujourd’hui ?
De tels disques et les machines pour les lire et les disquaires ont disparu. Comme par un mauvais enchantement. Et malgré cela qui aujourd’hui, au cœur de l’été 2012, a conscience de la guerre économique qui se déchaine pour le contrôle du marché du livre francophone ?
Quelques jours à peine après le naufrage annoncé du portail de la librairie indépendante 1001libraires et le sabordage de ses affidés, Google a lancé, le 18 juillet, son programme de vendeur de livres.

Trois armées donc sont maintenant dans la place : Amazon, Apple, Google.
L’édition française a-t-elle un autre choix que celui de la collaboration ?
Avec la digitalisation du livre et la multiplication de nouveaux dispositifs et de nouveaux services de lecture, aussi imparfaits et discutables soient-ils, le marché du livre se reconfigure.
Un tel remembrement ne pourra se faire pour le bénéfice de tous.
Nous pouvons nous demander au détriment de qui il se fera ?
Des libraires seulement ? Seulement ?
L’état des lieux au 22 juillet 2012 n’est-il pas révélateur d’une forme de soumission dans l’inconscient national à un modèle de réussite à l’américaine ? Et également d’un type de fonctionnement (se faire financer avec l’argent des contribuables par les gouvernements successifs) qui ne fonctionne pas ?
Amazon ; Apple ; Google. Trois coups de glas dans notre nuit d’encre et de papier mâché.
Les salariés français de ces entreprises américaines sont logiquement anglophones et, outre qu’ils adoptent tout aussi logiquement la conduite la plus propice au développement de leurs carrières professionnelles, ils sont aussi probablement influencés par le génie de la langue qu’ils manipulent : sans doute les manipule-t-elle davantage.
Le conflit non avoué et qui pourtant fait rage, n’est pas entre les “éditeurs papier” et les “éditeurs pure-players”  que j’ai définis ainsi en avril 2011 : « Un éditeur pure-player est un entrepreneur qui publie des livres exclusivement dans des formats numériques à destination des nouveaux dispositifs de lecture. », le conflit est entre l’interprofession du livre, dans son ensemble, et certaines industries numériques américaines. Mais ces dernières notamment n’ont pas intérêt à ce que ces choses soient ainsi perçues, alors elles font en sorte qu’elles ne le soient pas.

Ce qui fait image
 
Autre chose alors… Je me souviens m’être arrêté parfois dans mes lectures, violemment surpris par la force d’une image, par une impression de lecture si forte, si intense, comme émerveillé face à l’acmé qu’en une milliseconde avait atteint ma visualisation d’un paysage, d’une atmosphère ; il s’agit alors d’une vraie chance, d’un phénomène d’une intensité tellement surprenante que cela me réveillait en quelque sorte de ma lecture. Je relisais alors la ou les quelques phrases concernées et qui avaient été les déclencheurs de cet état rarement perceptible, qui d'ordinaire s’écoule naturellement dans le plaisir de lire.
Et de fait souvent je passe ainsi, emporté par le flot de ma lecture et me laissant transporter avec abandon, cet abandon que je rechercherais précisément dans la lecture, le ressentant sans doute trop dangereux dans la “vraie vie”.
Mais d’autres fois je m’arrête, je reviens en arrière dans ma lecture, juste de quelques lignes, de quelques phrases, rarement plus loin, pour y repartir en goûtant alors davantage cet instant, tout au plus en m’appliquant à prendre, juste la petite minute de cette relecture, une respectueuse distance critique sur la construction, les choix de l’auteur, sur ce qui a si fortement fait image en moi. Et finalement, c’est seulement de rares fois où j’ai réellement marqué un véritable temps d’arrêt, me disant qu’il allait falloir que je recopie une phrase précise, pour un jour réfléchir vraiment au phénomène, et puis… je reprends en fait ma lecture. Et puis… Et puis le temps passe, le livre noie la phrase en question, je ne m’en souviens plus, je ne la retrouve plus… Je suis oublieux.
 
C’est la raison pour laquelle je n’ai aujourd’hui qu’un seul exemple pour illustrer mon propos. Le voici…
Il y a quelques années, deux, trois, l’on m’a offert un beau roman d’une auteure russe contemporaine : Olga Slavnikova. Dans ce roman titré 2017, j’ai, je crois, plusieurs fois ressenti ce phénomène, favorisé sans doute par le décor spectaculaire présentant des gisements de pierres précieuses dans les montagnes de l’Oural et la dimension mythologique du récit, peut-être en partie prophétique (2017 c’est dans moins de cinq ans !).
Aussi ai-je fait récemment l’acquisition du premier livre d’Olga Slavnikova à avoir été traduit en français (aux éditions Gallimard) : L’Immortel.
Ce bref extrait, que nous pourrions titrer : Après la pluie, ou bien, Le cycliste, peut, je l’espère, éclairer l’expérience de lecture à laquelle je fais référence :
« Le soleil venait de se montrer, les flaques sur l’asphalte humide et bleu ressemblaient à des fenêtres lavées de frais. Un cycliste blond passa dans un clapotis éblouissant de roues, penché sur son guidon comme un oiseau en vol, translucide de lumière jusqu’aux rayons de son vélo et à son coupe-vent bruissant à l’éclat de vitrail grossier. ».

Ici, et bien plus encore lorsque pris dans le courant de la lecture, l’instantané rend la scène avec un réalisme qui m’apparaît indéniable. Et pourtant… Si nous nous arrêtons et essayons de visualiser effectivement les passages que je souligne maintenant : « Le soleil venait de se montrer, les flaques sur l’asphalte humide et bleu ressemblaient à des fenêtres lavées de frais. Un cycliste blond passa dans un clapotis éblouissant de roues, penché sur son guidon comme un oiseau en vol, translucide de lumière jusqu’aux rayons de son vélo et à son coupe-vent bruissant à l’éclat de vitrail grossier. ».
Si l’on s’arrête sur les détails qui fondent l’effet tout semble se désunir. C’est sans doute la composition d’ensemble qui rend bien, qui sonne juste, qui fait image, un peu comme les touches de pinceaux sur une toile impressionniste. A quelques mètres, vous êtes subjugué, immergé dans le paysage représenté ; à quelques pas, vous n’en voyez plus qu’un magma peinturluré de grossières taches multicolores (cf. illustration 1). Mais au final l’effet produit à la lecture semble réel, bien parfois qu’aussi improbable, tout en restant possible, que la fameuse scène de rue peinte par Balthus (cf. illustration 2).
Je le redis, de nombreux autres exemples auraient mieux rendu ce dont j’aurais souhaité parler aujourd’hui (je pense notamment chez Bernanos…). Et il faut aussi tenir compte ici, dans cet exemple, qu’il s’agit d’une traduction (de Christine Zeytounian-Beloüs) du russe. (J’ai récemment eu plusieurs expériences fortes qui m’ont secoué concernant des traductions, et sur lesquelles je devrais certainement aussi réfléchir davantage…)

Les technologies du numérique et les nouveaux rapports à la lecture qu’elles instituent pourraient au cours de cette décennie fondre l’ensemble des arts narratifs dans une seule et même geste, aussi ample que des bras ouverts ; une geste de création bien plus fluide que du transmédia simplement réticulé.
Il suffirait, pour comprendre ce à quoi je fais allusion, de remplacer dans le poème Correspondances de Charles Baudelaire, pour celles et ceux à qui la lecture est naturelle, “Nature” par “lecture” :

« La [lecture] est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.
 
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. »

Voilà la raison pour laquelle ces impressions de lecture et leur devenir au cours de ce siècle ont bien plus de poids finalement qu’une bataille gagnée par Google ; et voilà pourquoi aussi, parce que je pense cela, parce que je pense ainsi, voilà pourquoi ces gens-là, de Google et les autres, me méprisent certainement. Je m’en réjouis, je m’en réjouis, qu’ils le sachent ! Je m’en réjouis. (Mais cela pose aussi la question de savoir si ce que j’appelle : “les impressions de lecture”, sont liées, ou pas, à l’impression du texte ? Grave question ; dont la réponse serait peut-être à chercher du côté des peintres ?)
 

samedi 14 juillet 2012

Semaine 28/52 : Futurologie du livre

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon ressenti personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 28/52.
 
A l’échelle d’une simple vie humaine, éphémère, les métamorphoses des outils d’écriture et des dispositifs de lecture apparaissent aujourd’hui époustouflantes.
J’ai appris à écrire au début des années 1960 avec un encrier et une plume Sergent-Major. L’année suivante je passais au stylo plume avec ses cartouches d’encre noire. Ce ne fut que quelques années plus tard que je fus autorisé à utiliser des stylos billes. Jeune adulte, prétendant à la poésie et à l’écriture dramatique, je “tapais” mes textes sur des machines à écrire, longtemps mécaniques  et même quelques années par fétichisme sur une vieille Underwood, puis, un jour, électriques, puis, plus tard, électroniques.
Contrairement à certains pionniers de l’édition numérique (je pense notamment à François Bon) je n’ai que très tardivement adopté un ordinateur. Je ne suis vraiment pas d’une nature technophile et j’entretiens des rapports difficiles avec celui sur lequel je tape (au lieu d’écrire) le présent texte.
Ce parcours, sans doute très commun, concernant les outils d’écriture, je peux aussi le retracer pour les dispositifs de lecture. Ainsi, longtemps, j’ai lu des textes de toutes sortes imprimés sur des feuilles de papier reliées entre elles et protégées par une couverture. Des livres tout bonnement. Du jour où un ordinateur a pris place sur mon bureau j’ai commencé par la force des choses, de cette chose là nommée “ordinateur”, à ordonner différemment mes parcours et mes stratégies de lectures. En résumé je lis pratiquement autant qu’avant sur papier, mais de plus en plus sur ordinateur, et parfois sur ce qui est aujourd’hui appelé : une “liseuse”.
 
Je me souviens la troisième phrase
 
Cette semaine, dans la nuit du 10 au 11 juillet 2012 j’ai fait un rêve étrange. J’assistais à une présentation d’un nouveau dispositif de lecture. C’est dire comme cette question m’obsède littéralement !
Dans une atmosphère évidemment onirique sur laquelle je ne chercherais pas à faire de la littérature, le speaker (d’Hachette Livre je crois ?) répétait en introduction de sa présentation trois phrases clés, trois phrases pour présenter les aspects révolutionnaires du dispositif en question.
Je me rappelle bien qu’il les répétait, comme pour que je puisse les noter ou m’en souvenir (au réveil ?). Je me les répétais mentalement dans mon sommeil. Dans mon rêve je me rappelle nettement que je les notais, toutes les trois, sur un grand journal papier que j’avais avec moi, des colonnes de textes imprimés en noir sur blanc. J’avais très peu de place pour y écrire !
Tout à coup, pensant je crois qu’il y avait une pause avant la présentation, laissant le journal derrière moi, je suis parti en courant pour aller m’acheter un carnet. Évidemment, les rares magasins du quartier inconnu dans lequel je me retrouvais, et qui en temps normal auraient été susceptibles de vendre ce genre de choses, étaient tous fermés. Je vous fais grâce des péripéties saugrenues courantes dans les rêves. Quoi qu’il en soit, je me réveillais sans avoir pu retourner à cette présentation et avec en moi le désagréable sentiment que j’étais parti brusquement en donnant l’impression d’avoir pris la fuite.
Au réveil je ne me souvenais nettement que de la troisième phrase que j’ai aussitôt notée.
La voici : « Vous aurez un gout de tomate dans la bouche, parce que vous aurez vu un beau vert qui vous aura plu. ». (Il faut entendre je pense : « une belle couleur verte qui vous aura plu ».)
J’en conclus (avec subconsciemment l’écho des deux premières phrases que je ne peux formuler) qu’il s’agissait donc d’un dispositif léger (mais je ne sais pourquoi, car je ne l’ai pas vu dans mon rêve) destiné à produire des synesthésies lors de la lecture, c’est-à-dire pouvant traduire notre lecture, d’un texte je suppose, du monde peut-être, par un rapprochement de sensations. Une sorte de générateur de synesthésies ?  
 
Ce rêve n’a évidemment aucune valeur prédictive. Mais il m’a profondément marqué.
Malgré les effets parfois époustouflants à l’échelle d’une vie humaine, à ce jour nous avons finalement peu innové en matière de supports de lecture depuis le papyrus.
Souvent nous croyons innover alors que nous réinventons plus ou moins, tout simplement.
Au lieu de lire les livres, peut-être demain les dispositifs de lecture liront-ils les lecteurs.
Les livres seront comme des miroirs.
La bibliothérapie  pratique fondée en 1924 en Alabama par la bibliothécaire Sadie Peterson Delaney, ne sera peut-être plus une simple thérapie d’appoint, mais la nouvelle doxa.
Les pratiques d’écriture se déglaceront dans les nouveaux processus de communication. Les logiciels réagiront aux gestes et aux regards. Les machines communiqueront entre elles avec une certaine intelligence. Nous commençons déjà à observer tout cela depuis quelques années.
Notre cerveau nous projettera le film de nos lectures, comme il nous projette chaque nuit celui de nos rêves.
Les interfaces de lecture seront d’abord probablement des sortes de lunettes vidéos connectées avant, un jour, d’être directement incorporées dans l’organisme des hommes. Les implants de puces électroniques se pratiquent déjà. Il n’y aura alors plus d’hommes, il n’y aura plus de femmes alors : il y aura des lecteurs, il y aura des lectrices, et la belle histoire de l’uni-vers tous ensemble. Bien le bonjour chez vous !
 

dimanche 8 juillet 2012

Semaine 27/52 : Et si l’écriture disparaissait ?

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon ressenti personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 27/52.

Cette semaine une bataille a été remportée dans la lutte légitime de certains, dont de nombreux bibliothécaires, pour l’accès libre (open access) : l’Acta (Anti-Counterfeiting Trade Agreement) a été rejeté par le parlement européen.
(A signaler également outre-Atlantique le projet de Robert Darnton pour avril 2013 d’une Digital Public Library of America, qui proposera l’intégralité du domaine public en libre accès sur Internet avec la ferme volonté d’étendre le champ de ce domaine constamment étranglé par le garrot du copyright. Que la BnF en prenne de la graine bon sang !)

Cependant gagner une bataille n’est pas gagner la guerre, et durant cette même semaine nous apprenions, sans réelle surprise, que les diffuseurs de livres numériques avaient accès à des données de lecture qu’ils pourront un jour vendre aux éditeurs pour mieux appréhender le marché de la “world littérature”.
Dans son Contrat de licence et conditions d’utilisation Kindle, ce genre de documents que nous ne lisons généralement jamais, Amazon prévient les acheteurs de son dispositif de lecture que : « Le logiciel fournira à Amazon des données relatives à votre Kindle et ses interactions avec le Service (telles que : la mémoire disponible, l'historique de connexion et la puissance du signal). Le logiciel fournira également à Amazon des informations relatives au contenu numérique sur votre Kindle et les autres appareils et à l'utilisation que vous en faites (telles que : la dernière page lue et le contenu archivé). Les annotations, signets, notes, passages surlignés ou autres marquages similaires que vous effectuez sur votre Kindle ou sur votre application de lecture ainsi que les informations que vous fournissez peuvent être conservées sur des serveurs localisés hors de votre pays de résidence. Les passages surlignés peuvent être utilisés afin de fournir aux autres utilisateurs de Kindle des informations anonymes sur les passages les plus surlignés. » (Source).
Personnellement je refuse. Je dis : « Non. », à ces conditions de lecture.
Nous apprenions également, et une nouvelle fois sans réelle surprise, que certains romanciers formatent maintenant leurs récits de sorte à placer un élément de suspens vers les dix premiers pour cents du livre, soit à la limite finale des extraits téléchargeables sur Amazon. Rien de grave ou de désespérant, la pratique n’est pas nouvelle, loin de là ! Les plus grands romanciers feuilletonistes n’agissaient pas autrement. Ce que je regrette c’est justement cela, c’est de constater que les mêmes vieilles recettes continuent de s’appliquer et que nous négligeons ainsi certainement d’autres potentialités des outils numériques.

Quand la réalité rattrape la lecture
Open source, open data et open access, nous devons nous battre pour conquérir notre liberté. Et je dois dire que, d’après mes (modestes) connaissances en histoire de la lecture, l’écriture participa peu à cette conquête. Elle contribua surtout à asseoir des pouvoirs, à mettre en place des administrations paperassières, kafkaïennes.
Aujourd’hui, avec les enjeux du 21e siècle et le potentiel des technologies de la communication la réalité rattrape la lecture.
Et ce fait devrait interpeler je pense chaque lectrice, chaque lecteur.

Personnellement je m’interroge : la lecture n’aurait-elle été pour moi toutes ces années, qu’une activité solitaire dans la poursuite des jeux de l’enfance, seulement une tentative pour fuir la réalité quotidienne, trouver ce que d’autres trouvent peut-être dans le voyage, leur inscription passagère sur d’autres espaces travaillés eux aussi par l’homme.
Le pouvoir évocateur des mots, la puissance évocatrice d’un style, au commencement était le Verbe… Mais maintenant, dans un environnement poly-informationnel, l’écrit (j’écris bien : l’écrit, pas la lecture) ne perdrait-il pas de sa puissance transformationnelle ?

Pratiquer une lecture intensive (lire et relire un nombre réduit d’ouvrages) est devenu pratiquement impossible et n’aurait peut-être plus aucun sens aujourd’hui. Nonobstant, la lecture hyper-extensive que j’en suis venu à pratiquer malgré moi me déroute quelque peu. Impression d’être emporté par un flot de textes de mots, d’être pris dans un tourbillon qui ne me laisse plus penser, réfléchir ce que je lis, qui ne me laisse plus aucune possibilité de m’en saisir, d’en assimiler la substantifique moelle, et qui me laisse vide et désemparé, seulement soucieux de reprendre une lecture pour remplir un vide que plus rien ne peut combler.
Avec cette pratique hyper-extensive, la lecture peut-elle devenir une forme pernicieuse d’addiction ? Un alcoolisme ?
Je réalise que j’ai oublié bien plus des trois quarts de ce que j’ai lu ces décennies passées. Et voilà que maintenant j’aurais ce mouvement lâche de m’abandonner à l’illusion des disques durs.
Si Google devient ma mémoire quels sont les risques ?

En 2012 le territoire du lecteur est bien plus vaste qu’il n’a jamais été, notamment grâce aux nouvelles extensions numériques qui interpénètrent de plus en plus son environnement quotidien, mais, s’il est plus vaste, il est aussi, paradoxalement, davantage contrôlé, et toujours soumis à des pratiques marchandes abusives.

Vers une civilisation post-alphabétique
L’effacement du texte… La disparition de l’écrit serait-elle alors la voie de salut que l’évolution apporterait naturellement ?
Ce serait une défaillance de la pensée que de faire commencer l’histoire avec l’invention des premières écritures (même si cela était encore le cas il n’y a guère très longtemps).
Il est indéniable, l’ethnologie, l’anthropologie et l’archéologie en témoignent amplement, que le mode de transmission orale est au fondement même de toutes les civilisations humaines, et que c’est l’oralité qui fonde les sociétés scripturaires.

L’humanité a vécu des milliers et des milliers d’années sans écriture (le langage articulé aurait été possible il y a cent à deux cent mille ans, alors que l’écriture remonterait au plus tôt à 3400 av. J.-C, et l’invention des alphabets avec l’alphabet linéaire dit protosinaïque ne daterait que de 1500 av. J.-C.).

Chez l’humain pris individuellement l’apprentissage de la langue parlée précède toujours celui de la langue écrite. La parole est toujours première, dont la pensée silencieuse germant du monologue intérieur dicte le geste de l’écrivant. Et même dans la lecture, elle aussi le plus souvent silencieuse  mais surtout en fait depuis le milieu du 18e siècle seulement, c’est la parole toujours qui irrigue le texte lu.
Le mot écrit, le mot imprimé, n’est-il pas comme un papillon piqué sur un bouchon de liège ?

Et si les technologies informatiques permettaient maintenant de réaliser l’idéal socratique du « Connais-toi toi-même »  inscription au fronton du temple de la pythie de Delphes, en faisant de chacun de nous de véritables bibliothèques humaines, et si Ray Bradbury, critique envers les possibilités de l’édition numérique, en avait eu le pressentiment à la fin de son Fahrenheit 451 : les hommes exerçant à nouveau leur mémoire, redevenant des transmetteurs, des passeurs de livres, d’histoires…
Nous souvenons-nous seulement de ce qui se perd dans la transcription écrite d’un récit ?

Oui, il nous faut aujourd’hui reconnaitre la possibilité que l’imprimerie de 1450 ne représentera peut-être à l’échelle de l’évolution de l’humanité qu’un palier, qu’une parenthèse.
L’émergence de civilisations post-alphabétiques doit aujourd’hui être envisagée, comme l’un des possibles prolongements à ce que nous appelons, plus ou moins benoîtement, “la révolution numérique”.
 

dimanche 1 juillet 2012

Semaine 26/52 : Le pouvoir hallucinogène de la lecture

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon ressenti personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 26/52.
  
Opus 26 sur 52. Je suis à mi-parcours. Le fait d’en avoir pris conscience, de le noter et de m’y attarder, atteste à la fois l’effort (ou la contrainte) que cette chronique hebdomadaire m’impose, mais aussi l’intérêt que je lui porte. Ce cadeau, que je me suis fait en m’offrant cette tribune que personne ne songeait ou ne trouvait intérêt à m’offrir, même s’il a sa part empoisonnée, m’apporte beaucoup, me permet d’ordonner et de clarifier mes réflexions sur le devenir du livre et de la lecture au fil des prochaines décennies, des siècles prochains, et de tracer des parallèles avec une recherche spirituelle plus intime.
  
La tension que je ressens fortement et que j’évoque ici régulièrement est presque palpable. Nous pourrions presque la ressentir dans nos corps. J’écrivais hier : « En 2012 l'édition est comme un singe qui refuserait de devenir un homme ». Je ressens cette pression intérieure.
Les libraires grognent sous le joug des maîtres du marché, des auteurs commencent à s’organiser pour garder le contrôle sur l’édition numérique de leurs œuvres indisponibles en édition imprimée. La coopérative d’auteurs Indisponibles.fr, lancée cette semaine, déclare ainsi avoir plusieurs objectifs :
« — permettre à des auteurs de publier en numérique des ouvrages dont ils auraient récupérés ou non cédés les droits de publication numérique,
  fournir aux auteurs dont les ouvrages papier tomberaient dans la liste des indisponibles du XXème siècle une possibilité de publier eux-mêmes leurs ouvrages, et d’en récupérer des revenus supérieurs à ce que proposerait une société de gestion imposée par la loi,
  effectuer une surveillance active de la liste des ouvrages papiers tombant dans cette liste des indisponibles du XXème siècle et essayer de prendre contact avec le ou les auteurs pour l’informer de la situation de son ouvrage. »
Par ailleurs les deux ans de fonction d’Antoine Gallimard, descendu cette semaine de la présidence du syndicat national de l’édition sont bien dans la normalité en comparaison des 19 ans qui passa son prédécesseur, Serge Eyrolles (Denis Mollat a quant à lui été réélu pour la quatrième fois à la présidence du Cercle de la librairie, notamment propriétaire de la société Electre SA éditrice du magazine professionnel Livres Hebdo lequel, même en ligne, n’a toujours pas de réelle concurrence). Les temps changent ; lentement.
Mais cependant…, c’est à une conversation récente que je voudrais consacrer ce vingt-sixième opus, à un échange qui m’a permis d’ordonner quelques-unes de mes réflexions sur les liens entre lecture et dispositifs de lecture, d’avancer un peu le puzzle.

Quand je lis…
Que serait le livre s’il n’y avait plus de lecteurs ?
N’est-ce pas là, dans ce risque de dissolution des lecteurs dans le flux numérique, que réside l’impérieuse nécessité de la métamorphose du livre ? De sa renaissance sous un avatar autre que celui de papiers pliés et imprimés ?
En fait, je me suis simplement posé la question de ce que je fais quand je lis, moi qui depuis l’adolescence lis plusieurs heures par jour. Sans linguistique, sans discours savants, qu’est-ce donc que lire ?
Lire. Non pas interpréter les signaux de son environnement (ce qui est je pense de l’ordre de l’instinct pour tout organisme vivant), mais attribuer du sens à des signes qui n’en ont a priori aucun. Et voilà donc ce que je fais quotidiennement depuis plusieurs décennies : j’attribue du sens à des signes qui n’en ont a priori aucun. Comment est-ce possible que cela m’apparaisse aussi naturel ? Comment ai-je pu acquérir cette pratique et une certaine maitrise je pense dans l’exercice de cette illusion ?
Vingt-six lettres pour une infinité d’univers, de vies mêlées, et pour certaines depuis, mêlées à la mienne.
 
Apprendre à lire ? J’ai appris cela en 1966 précisément. Je ne veux surtout pas entrer dans la guerre entre défenseurs et pourfendeurs de la “méthode globale”, terme je crois savoir assez générique et qui recouperait en fait différentes pratiques d’apprentissages de la lecture. J’ai pour ma part appris à lire avec la méthode syllabique et cet apprentissage, perturbé par des difficultés d’élocution et un environnement familial difficile, ne me fut pas aisé. Ce n’est qu’à l’adolescence que j’ai plongé dans la lecture comme dans une autre atmosphère, davantage respirable.
Ce qui m’intéresse aujourd’hui dans cette “méthode globale”, dont je n’ai donc aucune pratique, c’est l’un de ses aspects particuliers, qui pour moi fait sens, mais dans la mesure seulement où je peux le mettre en écho avec les premières pratiques de lecture de l’humanité.
Dans cette perspective, la présentation proposée ce jour par Wikipédia a ceci de bien pour ma réflexion, qu’elle entre en écho avec ma recherche : « Elle a [la méthode globale] pour ambition de faire acquérir à l'élève une stratégie de déchiffrage des mots, voire des phrases, en tant qu'image visuelle indivisible. […] La lecture se fait par la reconnaissance d'un mot en entier, ou plus souvent d'une phrase entière, et non par le code de l'écrit par syllabes. Elle peut se comparer à la méthode utilisée pour apprendre à lire des langues comme le chinois, basées sur des idéogrammes… » (Source)
Lire  relèverait de la reconnaissance hallucinatoire, plus que du décodage visuel et d’un déchiffrage linéaire que ne corroborent d'ailleurs pas les enregistrements oculométriques.
 
Lire avec un casque !
Dans une certaine mesure cette méthode non-syllabique nous replonge donc avant l’invention des alphabets.
Je me souviens régulièrement de ce qu'Alberto Manguel rappelle dans Une histoire de la lecture (Actes Sud éd.), à savoir que le psychologue américain Julian Jaynes a émis l’hypothèse que : « Lire pendant le troisième millénaire avant notre ère revenait […] à entendre les cunéiformes, c’est-à-dire à imaginer le discours de façon hallucinatoire en regardant les signes qui le symbolisent, plutôt qu’à reconnaître visuellement les syllabes de la façon qui est la nôtre. ». Comme je l’ai évoqué parfois nous pourrions aussi nous demander si les “objets parlants” de la Grèce archaïque ou les statues épigraphiques, sur un certain plan de perception, ne parlaient pas « véritablement », de manière hallucinatoire. Comme statue épigraphique, je pense par exemple celle du roi sumérien Gudéa, rappelée à notre mémoire par Clarisse Herrenschmidt (Les trois écritures, Gallimard éd.) et recouverte d’inscriptions cunéiformes qui donnaient la parole au roi, cette statue qui était visiblement le porte-parole du roi auprès des divinités et, nous ne pouvons que le constater aujourd’hui, auprès des générations futures du 21e siècle également.
 
Quelques vérités partagées par tous et ne nécessitant aucune connaissance scientifique particulière peuvent être listées je pense :
Nous accédons tous dans le sommeil à un plan de conscience particulier qui s’exprime par les rêves, lesquels sont généralement très imagés, semblant puiser dans un réservoir d’images emmagasinées dans notre mémoire et les recombinant en histoires fictionnelles…
  La faculté de notre cerveau à générer des images est ainsi attestée…
Lorsque nous plongeons dans une lecture d’immersion, de type fiction romanesque, récit autobiographique ou expérientiel, nous sommes embarqués dans une expérience similaire, mais, en état de veille. Comme les rêveries diurnes sont moins imagées que les rêves nocturnes, sous peine d’être assimilées à des hallucinations pathologiques, l’expérience de la lecture immersive reste elle limitée par les conditions de vigilance et de conscience de l’éveil. Nonobstant, quand nous voyons une adaptation cinématographique d’un roman qui nous a embarqué nous ressentons bien et formulons clairement que : ce n’est pas ainsi que nous avions vu les choses, que tel personnage ne ressemble pas à celui que nous avions vu dans notre lecture, etc.
En quelque sorte, ne pourrions-nous pas dire que la page imprimée a fait écran (masque) ? Ou alors que c’est l’activité cérébrale de la lecture qui accapare trop de ressources pour déchiffrer et donner sens aux signes graphiques, de telle sorte que la projection absolue du lu n’atteint pas le niveau de la production onirique ?
L’écran de la page, occupé par les signes, ne laisse plus place à la projection de l’image ? (Ici toute l’histoire des supports d’écriture et toutes les études sur le rapport textes / images enluminures, BD…, seraient à réexaminer !)
Mais il y a incontestablement une activité fictionnelle naturelle du cerveau laquelle, à ma connaissance, si elle a été en partie tout au moins explorée par les sciences humaines et particulièrement la psychanalyse, resterait plutôt négligée par les neurosciences.
Enfin, les rapides avancées de l’imagerie cérébrale permettent régulièrement de multiplier et d’affiner nos connaissances sur le fonctionnement et les potentialités de notre cerveau, véritable continent inexploré de notre boîte crânienne.
Les neurones miroirs, par exemple, désignent une catégorie de neurones qui présentent une certaine activité, et ce aussi bien lorsqu'un individu exécute une action, que lorsqu'il observe un autre individu exécuter la même action, ou bien également, lorsqu'il imagine ou lit une telle action.
Les recherches actuelles sur les ICM (interfaces cerveau-machines) sont ainsi, à mon sens, très prometteuses pour l’évolution des dispositifs de lecture.
Liseuses à encre électronique et tablettes tactiles multimédias ne sont que des parenthèses, des impasses technologiques.
Bien sûr une telle idée rappelle avec amusement les visions futuristes de nos aïeux qui imaginaient des voitures volantes pour l’An 2000. Mais nous avons bien des avions depuis un peu plus d’un siècle.
 
Nos descendants ne liront pas avec un casque sur la tête (quoique), mais les dispositifs de lecture qu’ils utiliseront seront peut-être à la croisée des interfaces cerveaux-ordinateurs, qui sont de plus en plus expérimentées, et des dispositifs de réalité augmentée et “d’intelligence ambiante”, qui diffusent de plus en plus dans notre environnement.
Ce que nos descendants à la fin de ce siècle appelleront “lire” sera “voir”.
Un Mésopotamien me comprendrait.
Je voudrais lire ainsi.
 
  

samedi 30 juin 2012

Les enjeux de la normalisation pour l'édition numérique

J'ai assisté hier à la BnF à la 2e Journée d'étude de l'AFNOR (Association française de normalisation, membre de l'International Organization for Standardization - ISO) sur le thème : "Le livre numérique : quelles normes pour le produire, le diffuser, l'utiliser ?".
Cet écho personnel n'est en aucun cas une synthèse (les présentations slides des intervenants et une synthèse, entre guillemets, "officielle", devraient prochainement être mises en ligne par les organisateurs), mais ma réaction, forcément subjective, face à des discours plutôt consensuels et qui semblent davantage entretenir le statu quo actuel qu'assumer les changements inévitables liés au développement d'un marché de l'édition numérique.
 
Il ressort d'emblée de cette journée d'étude (présentations, trois tables rondes, et conclusion sympathique mais improvisée par Arnaud Beaufort, directeur des Services et réseaux BnF), que les enjeux de la normalisation sont considérables.
Pour les résumer en une formule lapidaire je dirais : la normalisation rend possible l'échange dont l'interopérabilité résulte.
La normalisation apparait indispensable à l'interopérabilité. 
 
L'introduction fut d'ailleurs franche - une déclaration telle que : "La normalisation rapporte", pouvant être comprise de multiples façons. Cela dit, il ressort à mon sens de cette journée que l'interprofession du livre tend surtout à développer des stratégies de ralentissement et à reproduire au marché du livre numérique les règles jusqu'à ce jour applicables au marché du livre imprimé. C'est aller droit dans le mur.
 
Une coque de noix sur l'océan...
  
Dans le nuage de questions soulevées par cette étrange conduite j'ai cependant relevé quelques rayons de soleil, quelques traits plus éclairants sur les véritables enjeux...
Virginie Clayssen (directrice de la stratégie numérique du groupe Editis) qui a recentré la problématique sur les lecteurs (ce que je ne peux qu'approuver) : "Je dois pouvoir acheter un livre où je veux, le lire avec le terminal de mon choix et conserver l'accès à mes livres numériques si je change de terminal de lecture et/ou de fournisseur."
Autre formule choc lancée par Virginie Clayssen: "Ne pas laisser les utilisateurs à Amazon !".
  
Alain Pierrot (Business development manager au sein d'I2S) que j'ai revu avec plaisir, précisa lui avec une vraie pertinence que, si on se rallie à un standard comme à un étendard, on se conforme à une norme (comprenne qui pourra).
A titre purement personnel, je n'ai jamais vraiment été dans les normes ;-) et je considère que dans le domaine du livre, qu'il soit imprimé, numérisé ou numérique, une norme n'est nécessaire que si elle rend possible l'accessibilité, non si elle la contrôle.

Hadrien Gardeur (co-directeur de la librairie numérique Feedbooks et animateur du groupe de travail qui développe la spécification OPDS) résuma bien le voeu pieux de beaucoup : "Créer un écosystème basé sur des standards ouverts, permettant à n'importe qui de constituer une collection, de naviguer dans celle-ci et d'acquérir des ressources associées, depuis n'importe quelle source, et dans n'importe quel environnement."
 
La présentation de Marc Jajah (doctorant à l'EHESS, auteur de Sobookonline, spécialisé dans le livre numérique et les pratiques d'annotation) m'a quant à elle surtout conforté dans mon a priori sur l'impossibilité à ce jour de pouvoir retrouver ses annotations, dès lors que l'on change de dispositif de lecture. Vouloir aujourd'hui retrouver des notes au sein de textes en évolution constante, parfois issus de pratiques d'écritures collaboratives, revient à vouloir géolocaliser une coque de noix sur les océans !
 
Deux autres points à retenir d'après moi :
- L'importance de la normalisation pour les problèmes d'accès aux livres numérisés et numériques par des lecteurs malvoyants (intervention hier de Fernando Pinto da Silva, coordinateur du CERTAM - Centre d'évaluation et de recherche sur les technologies pour les aveugles et les malvoyants). Les difficultés liées aux dyslexies et aux dyspraxies devraient aussi être prises en considération, au-delà des contingences commerciales. 
- L'importance d'une normalisation catégorielle et évolutive des métadonnées de gestion bibliographique, métadonnées de référencement et de description. De plus en plus le problème va en effet être de TROUVER.

Globalement les messages passés relevaient donc d'un registre de l'optimisme, à l'image de l'intitulé de la dernière table ronde du jour : "La normalisation, levier pour de nouveaux usages" et dont la présentation à laquelle je ne puis que souscrire précisait sommairement : "On ne fait pas rentrer les usages dans des normes, mais on normalise pour permettre le développement des usages : on a besoin de standards pour récupérer des livres et constituer des catalogues, ou pour partager sa lecture.". 
 
Le singe qui refuse de devenir un homme
  
Malgré ce bel optimisme affiché, quoique assez réservé, le difficile contexte des laborieuses réflexions de cette journée d'étude peut être je pense caractérisé par ces quelques points :
- la pression indéniable sur le marché et les usages des "standardisations de fait", imposées aux consommateurs (aux lecteurs) par des marques monopolistiques (Amazon, Apple...),
- le glissement de la valeur du contenu au service, le fait de ne plus acheter un livre, mais, un droit d'accès associé à certains types d'usages limités, 
- le glissement du lecteur de livres vers l'utilisateur d'un dispositif de lecture, avec ses contraintes techniques et la nécessité d'un service après-vente... 
 
Mais, et je l'ai vivement ressenti hier, complexifier de tels sujets permet surtout de ne pas leur apporter de réponses concrètes. Abondance d'acronymes, textes de référence abscons et en anglais, absence d'un vocabulaire commun à l'interprofession pour désigner de mêmes réalités relativement simples à apréhender, autant de stratégies plus ou moins conscientes, plus ou moins volontaires, mais qui participent à complexifier les choses.
Le refus entêté aussi de s'entendre autour d'une définition simple du livre numérique (refus qui se fait passer pour une impossibilité) est symptomatique je pense de cette stratégie du ralentissement et des intérêts en jeu. Et, de fait, ces tergiversations font le jeu, tant des lobbies des industries graphiques que de ceux des majors anglo-saxonnes du numérique.
J'abordais ces questions de la définition du livre numérique en janvier 2009 dans mon Livre blanc sur la prospective du livre et de l'édition, qui aurait pu à l'époque servir de plateforme à une réflexion collective.
 
En conclusion, si les enjeux de la normalisation semblent vitaux pour le développement de l'édition numérique ce n'est pas gagné. Je dirais même que la situation est préoccupante.
En général, je l'ai encore observé hier, tous ces défenseurs de l'interopérabilité sont les heureux possesseurs d'iPad et de Kindle. Leurs actes de consommateurs trahissent ainsi les discours que leurs positions professionnelles les obligent plus ou moins à tenir. Nous sommes peu de choses.
Et, comme souvent, comme toujours, il a manqué je pense parmi les intervenants un historien du livre capable de remettre les enjeux en perspectives et de nous entretenir, par exemple, des problématiques de la normalisation à l'époque des incunables.
 
Cela dit, je pense que bien au-delà de cette journée d'étude à la BnF, dans la vraie vie, l'univers mental des lecteurs s'élargit, et que tous développent plus ou moins des stratégies personnelles, petites ruses pour accéder aux livres qu'ils souhaitent vraiment lire, pour y prendre plaisir et pour les partager.
Rendez-vous est donc pris pour une nouvelle journée d'étude sur ce même sujet à la Saint Glinglin de l'an 2000 quelque chose. Mais serons-nous encore là pour débattre du sexe des anges ?
Car quel poids a l'AFNOR face à Google, Amazon, Apple ? (Par ailleurs je m'interroge s'il ne serait pas plus... normal justement, que ces problématiques de normalisations  internationales soient entre les mains de la puissance publique et que leurs données soient en accès libre pour tous les citoyens...).
Que pèse réellement, face à Google, Amazon, Apple (d'ailleurs, qui étaient leurs grandes oreilles hier à la BnF ? Ou était-ce à ce point négligeable qu'ils n'y envoyèrent personne dans l'auditoire ?), que pèse donc réellement la commission numérique du Syndicat national de l'édition et son groupe "Normes et standards" (même si ses efforts pédagogiques sont méritoires, voir ici par exemple...).
En vérité : qui décide ?
Y-a-t-il un pilote dans l'avion édition ?
Eh ben la réponse est : NON.
 
J'ai l'impression qu'en 2012 l'édition est comme un singe qui refuserait de devenir un homme !
Mais les lecteurs inaugurent des pratiques transversales et des auteurs se mettent à prendre leurs productions en mains en se saisissant des outils open source. Alors espérons en confiance et sérénité !
 
En savoir plus sur l'AFNOR : sur Wikipédia (et sur le Groupe AFNOR qui a également une branche éditions) et leur site officiel.
Le service concerné à l'AFNOR est le CG46 - Groupe de coordination "Information et documentation".
"Le Groupe de coordination (GC) 46 a pour objet de définir la politique et l'orientation des travaux de normalisation française dans le domaine de l'information et de la documentation et d'assurer la coordination des Commissions de normalisation (CN) et groupes d’experts (GE) placés sous sa responsabilité. Il a également pour rôle de constituer une force de proposition pour le Comité Technique ISO/TC 46 «Information et documentation». La présidence et le secrétariat sont confiés à AFNOR Normalisation depuis 2001."

mercredi 27 juin 2012

Importante actualisation de l'annuaire des éditeurs pure-players

Ce jour une actualisation (nouvelles adresses web des inscrits et quelques nouveaux inscrits, notamment dans la rubrique des prestataires de services) : à consulter ici...
A signaler également une distinction plus claire entre, les éditeurs pure-players francophones, d'une part, et, les prestataires de services (développements d'applications dédiées, ePub3, etc.) à l'édition numérique.

L'ouverture de deux nouvelles rubriques est à l'étude :
- une concernant les prestataires proposant des offres d'auto-publications,
- une autre concernant les services de crowdfunding (financement participatif),
qu'en pensez-vous ? Avez-vous des propositions ?
  
N'hésitez pas à faire part de vos remarques et surtout de vos attentes en commentaires ou en me contactant directement : quels types de services souhaiteriez-vous par rapport à une telle recension des acteurs pure-players de l'édition francophones ?