mardi 13 août 2013

La prospective du livre n’est pas l’édition numérique

Depuis quelques mois je constate de plus en plus souvent des méprises concernant mon activité.
Je parle souvent certes et je m’intéresse de près à l’édition numérique, soit, mais cela simplement car il est incontestable que le numérique impacte aujourd’hui de plus en plus fortement nos dispositifs et nos pratiques de lecture (quoique cela puisse se discuter et j’en discute justement, je relativise croyez-moi…). Mais je ne travaille aucunement ni dans ni pour ni même sur… l’édition numérique !
Le chewing-gum deviendrait un vecteur de transmission des textes que je m’intéresserais de près aux chewing-gums.
Je n’y connais rien en informatique et je ne suis même pas technophile.
Je suis un lecteur.
Mes recherches se portent sur la prospective du livre et de la lecture, c’est-à-dire, dans une perspective historique et anthropologique (histoire des écritures, du livre et de la lecture, de ses pratiques et de ses influences….) sur l’étude des mutations en cours et la prévision de leurs possibles effets durant les prochaines années, notamment et justement sur nos pratiques de lecture. Je m’intéresse aussi énormément à l’élaboration de nouvelles formes de médiations numériques autour du livre et de la lecture, et ce particulièrement à destination des bibliothécaires et des libraires.
 
Précisons les choses…
 
Pour le dictionnaire de français Larousse, la prospective est la : « Science ayant pour objet l’étude des causes techniques, scientifiques, économiques et sociales qui accélèrent l’évolution du monde moderne, et la prévision des situations qui pourraient découler de leurs influences conjuguées. ».
Initiateur en 2006 (avec mon livre Gutenberg 2.0 le futur du livre, paru en 2007) de la prospective appliquée aux domaines du livre et de la lecture j’en propose, dans ce cadre précis, la définition suivante : « l'étude des mutations des supports et des surfaces perçus en tant que dispositifs de lecture, c’est-à-dire en les considérant comme des interfaces lecteurs / lu et, compte tenu des codes qu'ils véhiculent, en étudiant leurs effets sur le vécu et les impacts de la lecture. ».
 
L’époque des e-incunables
 
Comme je le dis dans mes cours et dans mes conférences je considère que nous sommes depuis 1971 dans l’époque des e-incunables (référence claire aux incunables des années 1450-1501).
Je pense que nous devrions être davantage attentifs et critiques à ce passage de l’édition imprimée à l’édition numérique.
Je considère (nombreux sont les posts de ce blog à en témoigner) que l'édition numérique n'est qu'un épiphénomène d'une mutation de bien plus grande ampleur au niveau du langage et de l'espèce.
Je n’assène pas cela ici pour me mettre en avant, mais simplement pour clarifier la perspective de mes interrogations et de mes recherches.
 
Une édition numérique sectaire
 
Que cela soit donc clair : je ne suis ni un militant de l’édition numérique, ni un béni-oui-oui des pouvoirs de l’imprimé.
Honni de beaucoup sans doute, je demeure un esprit libre.
Enfin, à titre personnel je regrette vivement que le milieu de l’édition numérique soit encore plus sectaire que ceux de l’édition imprimée. Je parle d’expérience. J’ai en effet perdu la direction d’une collection parce que sur ce blog j’avais émis quelques réserves sur certaines pratiques de l’édition numérique, des éditeurs numériques refusent la publication de ma chronique de l’année 2012 sur ces sujets justement parce que je m’y montre critique. Ces preuves manifestes d’intolérance et de fanatisme ne parlent pas en leur faveur.
La prospective du livre n’est pas l’édition numérique, qu’on se le dise ! Pour preuve, ce que je considère aujourd’hui comme mon principal combat concerne les droits des lecteurs… Mais cela aussi bien évidemment ne fait pas l’affaire des marchands de fichiers epub !

lundi 29 juillet 2013

La bibliothèque universelle serait-elle celle des livres qui ne sont pas encore écrits ?

Comme le nombre de combinaisons possibles avec nos caractères alphabétiques et typographiques est forcément limité, logiquement toute littérature, passée comme à venir, devrait pouvoir être contenue dans un nombre déterminé et fini, même si considérable, de volumes imprimés, ou dans un proche avenir dans du cristal de roche.
C’est là en partie le pari de Kurd Lasswitz dans son texte La bibliothèque universelle, paru en 1904, lequel inspira probablement Jorge Luis Borges pour sa célèbre Bibliothèque de Babel, parue elle en 1941 dans Le jardin aux sentiers qui bifurquent, puis en 1944 dans le recueil Fictions, et dont l’on pourrait s’étonner que les essais de réalisations relèvent davantage des arts numériques que de la bibliothéconomie, “The Library of Babel - Digital Access to the Books of the Library - Full Text Search in the Books” étant, à ma connaissance limitée, la seule tentative qui se rapprocherait du processus génératif induit par la notion même d’universalité de la bibliothèque.
 
Des rats de bibliothèques aux chevaliers errants (dans les bibliothèques)
 
Aujourd’hui, où les limites du livre en tant que support physique du texte disparaissent, aujourd’hui où nous manipulons des dispositifs de lecture réinscriptibles et appelant à nous les textes où que nous soyons, aujourd’hui que nous sommes dans la réalisation des rêves des scribes de Mésopotamie pourrions-nous concevoir un supercalculateur à même d’autogénérer la totalité des textes possibles et ce, non plus pour lire béatement ceux-là proposés par des marchands de livres, mais pour retrouver les ouvrages perdus du passé et mettre devant nos yeux ceux qui ne sont pas encore écrits et nous éclaireraient peut-être sur notre avenir : le pourrions-nous ?
Il y a incontestablement là une dimension don quichottesque, à explorer ainsi ce qui se joue par rapport au(x) livre(s) en ce début de 3e millénaire de l’ère chrétienne et à concevoir que les fictions, comme les mythes, peuvent potentiellement être des réalités de substitution, et vice versa, la réalité se vivre comme une légende. Et tous ces plans potentiellement colonisables par des lecteurs.
La lecture sort du bois et c’est notre devoir de lecteur de la regarder en face.
  
La bibliothèque comme ruche célibataire
   
Borges a écrit : « la Bibliothèque est une sphère dont le centre véritable est un hexagone quelconque, et dont la circonférence est inaccessible ». De cette intuition fortuite, et de son amusement de gros chat rusé à jouer à partir du texte de Lasswitz, nous pourrions peut-être extrapoler quelques réalités de substitution concernant les bibliothèques.
Par exemple, percevoir la structure alvéolaire que le codex lui-même évoque sur des kilomètres de rayonnages.
 
La bibliothèque borgésienne est une hyperbole de la ruche dont nous trouvons des projections, non seulement chez les insectes sociaux, mais aussi dans les mégapoles humaines et les conceptions récentes de la ville comme cinquième écran.
Ces pistes convergent dans mon concept de bibliosphère dont des bibliothèques, tant numériques que physiques, pourraient concrètement s’inspirer.
A mon texte de février 2013 : Portrait du lecteur en apiculteur pourrait aujourd’hui répondre un Portrait du lecteur en abeille, considérant le bibliothécaire comme lecteur modèle.
Jusqu’au 16e siècle les dispositifs de lecture étaient ce que j’appellerais : de sages machines célibataires. Si nous suivons la bifurcation proposée par Pierre Berloquin dans son essai : Codes – La grande aventure, au sens initial qu’avait donné Michel Carrouges aux machines célibataires, nous pouvons les définir comme : des machines autonomes, impliquant leurs utilisateurs (lecteurs), entrant en interaction dramatique avec la société et véhiculant une dimension symbolique, un mythe fondateur, une légende. Pour unique qu’elle soit, la machine célibataire n’est pas onaniste mais elle est exhibitionniste, elle ne fonctionnerait que face à des spectateurs, et elle ne pourrait se reproduire. Le livre d’avant l’imprimerie correspond à ces critères. Des “objets parlants” de la Grèce antique aux codices manuscrits tels que les rappelle à notre mémoire collective Michel Jullien dans son récent Esquisse d’un pendu, le livre est pris depuis 1501 dans un processus de clonage qui culmine avec ceux sous forme de fichiers numériques. De machine célibataire, le livre est devenu un produit manufacturé et la question se pose de la migration de son potentiel de machine célibataire à l’échelon supérieur de la bibliothèque même.
  
Biosphère et bibliosphère
    
A ce stade, où l’on entend de plus en plus parler d’ “outils de narration connectés”, où l’internet des objets commence à approvisionner une réalité dite augmentée et transmédia, je redis une énième fois qu’il serait déraisonnable de considérer le virtuel — qui n’est pas forcément que numérique, et la “réalité”, comme deux états distincts. Il n’y a pas de réel waterproof.
Aussi la bibliosphère recouvrirait-elle en fait l’ensemble des activités de décodage.
En ce moment même vous décodez ce texte ainsi que l’environnement dans lequel vous le lisez.
Dans ce contexte, “lecteur” est synonyme de “vivant”, et la bibliosphère est la peau sensible de la biosphère.
La Bibliothèque (que d’autres appellent l’Univers) est. Elle est ce qui est. Ici il nous faut faire appel à la mystique juive qui se fonde, comme le rappelle Georges Vignaux dans le premier tome de son Comment les idées viennent aux mots : « sur la puissance du verbe et sa capacité de fusion avec l’essence des choses et des êtres ». Le fait que les lettres aient en hébreu une valeur numérique permet d’y décoder chaque mot et chaque phrase à un autre niveau d’interprétation (Gematria). Code actif, les lettres seraient à l’origine de… Tout.
Comment ne pas penser à cet autre code, l’ASCII (American Standard Code for Information Interchange) où à chaque lettre est substituée une suite de sept 0 ou 1, où la lettre A par exemple se code 1000001, où les 0 et les 1 correspondent à des variations électriques. A quand des électrobibliogrammes pour des lecteurs déjà habitués aux électrocardiogrammes et électroencéphalogrammes et qui lisent maintenant des textes de pixels sur des tablettes non plus d’argile mais de composants électriques.
Les codes aujourd’hui s’imbriquent et s’entrainent comme jadis les rouages dans les premières machines sophistiquées.
Quotidiennement, en permanence, la syntaxe, la grammaire, et leurs règles que nous respectons, n’agissent pas comme des opérations neutres, mais, comme des systèmes qui organisent et conditionnent le regard que nous portons sur notre environnement physique et mental.
Déchiffrer ce code serait se délier, ce serait pour le lecteur dé-lire ce qui le programme et donne son apparence à la réalité qui l’encercle. Casser le code ? (Délirer ?)
Reste cette simple constatation formulée simplement par Paul Claudel : « L'écriture a ceci de mystérieux qu'elle parle. ».

  
Du bibliolithique au bibliocène
 
Alors que notre espèce était à son origine immergée dans un univers où rien n’avait de nom, la faculté générative du langage, dont nous pouvons tous observer la magie lors de nos activités oniriques, diurnes ou nocturnes, la faculté générative du langage n’a de cesse depuis de produire des noms de toutes sortes, allant jusqu’à nommer la moindre composante de la moindre chose et même à donner un statut d’existence à des choses qui n’en auraient apparemment pas.
« Faisons-nous un nom pour ne pas être dispersés sur toute la terre » aurions-nous dit un jour.
En reliant l’idée de bibliothèque au mythe de Babel, Borges a rapproché deux fils électriques. Il y a une étincelle à la lecture de son texte. Puis le noir.
Allons-nous rester dans cette obscurité alors que la grande convergence des technologies NBIC (nanotechnologies - biotechnologies - intelligence artificielle - sciences cognitives) rendraient possible une lecture du vivant (avec le séquençage de l’ADN par exemple) pouvant relever de la bibliothéconomie ?
Que le langage et les langues, en tant que codes actifs, soient notre propre programme, ce qui nous programme, voilà qui met sur orbite, bien au-delà des tendances conjoncturelles du marché du livre imprimé ou du militantisme pour le développement d’un marché du livre numérique, voilà qui met sur orbite notre liberté d’esprit à envisager (dévisager) le livre et son avenir.
Le passage de l’édition imprimée à l’édition numérique n’est que de l’ordre de l’épiphénomène et ses impacts seront limités par rapport à l’importance de la révolution humaine dont nous abordons la pliure.
Je pense que nous changeons d’ère.
La bibliothèque devient sur un de ses multiples plans, livre de(s) code(s), du code.
Je pense vraiment que nous changeons d’ère, bien plus que ne l’imaginent celles et ceux qui prônent ce changement d’ère.
Nous passons du bibliolithique, l’âge des textes inscrits liés à des supports matériels et périssables, celui des livres de pierre, des inscriptions pariétales aux cathédrales en passant par les temples de l’Antiquité puis les livres imprimés, au bibliocène, l’ère des textes vivants, générateurs de mondes habitables. Du livre de pierre au livre de pixels. Des livres à la bibliothèque pensante. Et agissante. Banque de données. Programmes conscients.
 
Depuis la bibliothèque d’une ville invisible
 
Italo Calvino dans le portrait d’une de ses villes invisibles (Théodora), interrogeant les codes littéraires, imaginait le scénario suivant : « Reléguée pendant un temps indéfini dans des repaires à l’écart, depuis l’époque où elle s’était vue détrônée par le système des espèces désormais éteintes, l’autre faune revenait au jour par les sous-sols de la bibliothèque où l’on conserve les incunables, elle descendait des chapiteaux, sautait des gargouilles, se perchait au chevet des dormeurs. Les sphinx, les griffons, les chimères, les dragons, les hircocerfs, les harpies, les hydres, les licornes, les basilics reprenaient possession de leur ville. ». Un jour cela sera possible. Qui n’a pas déjà fait un cauchemar de cette envergure ? Pour se réveiller ensuite.
   
 
 
N.B. : J’ai bien conscience que pratiquement chaque phrase du texte ci-dessus demanderait au moins un paragraphe de développements. J’y travaille.
En complément de ce texte vous pouvez en attendant lire :

vendredi 26 juillet 2013

Réaliser la bibliosphère

Le texte proposé ci-après : "Réaliser la bibliosphère", est extrait de ma contribution à la 2e édition revue et augmentée du manuel pratique de l'Association des Bibliothécaires de France (ABF) dans la collection Médiathèmes : Outils du web participatif en bibliothèque (juin 2013), sous la direction de Franck Queyraud et Jacques Sauteron.
 
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"J’ai lancé le concept de bibliosphère en 2011 dans un petit essai baptisé : De la bibliothèque à la bibliosphère, et depuis j’en perçois l’émergence avec une curiosité sans cesse accrue.
Une observation attentive, une veille technologique et stratégique au niveau de la détection des signaux faibles et des tendances émergentes, qui se manifestent notamment aux niveaux des pratiques de lecture et de recherches d’informations, nous incitent en effet à dépasser de plus en plus la perspective médiologique traditionnelle. Si différentes médiasphères se succèdent bien dans le temps sans se remplacer : la logosphère (communication orale), la graphosphère (écrit et imprimé), la vidéosphère (photographie et vidéo), et maintenant l'hypersphère ou la cybersphère des réseaux numériques, les supports eux changent, et les processus aujourd’hui fusionnent dans les infrastructures comme dans les usages. Nous rapprocherions-nous d’une noosphère, sphère de la conscience pour Teilhard de Chardin ?
  
L’émergence de la bibliosphère
 
La bibliosphère est pour moi une déclinaison naturelle de la biosphère, la sphère dynamique du vivant qui doit naturellement lire, déchiffrer et documenter son environnement pour y survivre. Elle est la conséquence de la période des e-incunables que nous traversons et qui s’exprime par les effets cumulés de la métamorphose des livres et autres supports de textes en tant que contenants, et de la volatilité des livres et des textes en général, en tant que contenus.
L’ensemble de ce Médiathèmes consacré aux outils du web 2.0 en bibliothèques en atteste : de nouveaux outils et de nouvelles pratiques révolutionnent notre rapport aux livres. Les lycéens d’aujourd’hui se tournent plus vers Wikipédia et Google que vers le bibliothécaire. Les plus jeunes, qui ont leurs premiers contacts avec l’écriture et la lecture sur des tablettes multimédia connectées, ne se tourneront plus spontanément vers des supports imprimés lorsqu’ils seront plus âgés.
C’est dans ce monde en pleine mutation que nous devons réinventer la bibliothèque.
L’idée même de bibliosphère sous-entend que les bibliothécaires se libèrent en fait de la chaine du livre pour s’investir personnellement et collectivement dans l’écosystème numérique global qui prend forme.
[...] Il existe dans le cyberespace de plus en plus de bibliothèques numériques qui n’ont pas d’existence architecturale sur nos territoires, tandis que l’hybridation entre les plans physiques et numériques de nos existences est de plus en plus flagrante. [...]
 
Les bibliothécaires face aux robots
 
Nous avons des robots une image anthropomorphique et simpliste. Certes, nous n’en voyons pas patrouiller dans nos villes, mais cependant ils sont de plus en plus nombreux à s’immiscer dans nos vies.
Tous les jours nous recherchons des informations sur le web, nous écrivons et nous communiquons par le truchement d’interfaces (de messageries électroniques, de publications en ligne…), de plus en plus souvent nous constatons que des algorithmes corrigent ce que nous tapons sur nos claviers, supputent et complètent nos requêtes, les orientent, nous recommandent, par exemple, tel ou tel livre, en fonction de notre profil, de nos choix antérieurs ou de ceux de notre réseau de contacts. [...] L’aphérèse du terme “bot” exprime parfaitement l’invisibilité de ces robots au service de stratégies souvent commerciales.
La formule sous-tendue dans l’algorithme de Google, que le plus intéressant est ce qui est le plus cité et que ce qui est le plus cité est le plus important, est contraire à l’esprit humaniste. Le procédé est en fait intrinsèquement vicié par une spéculation financière sur des “mots clés” à partir d’un algorithme d’enchères rapportant à Google un chiffre d’affaire en milliards de dollars par an.
Aussi, les bibliothécaires doivent-ils prendre garde à ne pas devenir les agents d’entreprises commerciales. L’indispensable appropriation des outils informatiques devrait justement leur permettre de s’en affranchir. 
  
La bibliothèque utopique
 
Dans ce contexte le plus difficile pour les bibliothécaires est de rester des médiateurs de l’écrit tout en s’adaptant au monde nouveau. S’approprier les outils du web 2.0 certes, mais aussi se recentrer sur ses valeurs fondamentales : la préservation, la médiation et la transmission.
Tout n’est pas et tout ne sera pas numérisé. Une des missions prioritaires des bibliothécaires doit rester je pense la sauvegarde du patrimoine écrit. Mais aussi il leur faut pouvoir maintenant distinguer les productions humaines de celles de robots logiciels, authentifier les ressources numériques, et, surtout, favoriser le partage des savoirs en s’opposant à la commercialisation des contenus patrimoniaux et aux restrictions du domaine public, favoriser les ressources sous licences libres et la défense des biens communs de la connaissance.
[...] Entre documentaliste et expert du web, le bibliothécaire du 21e siècle devra assumer un rôle de gardien de la tradition écrite. Voir dans les usagers des “cherchants”. Défendre les droits des lecteurs. Redevenir le sachant qu’il était avant l’imprimerie. Devenir un expert de référence dans une société ultra-technicisée au sein de laquelle il sera de plus en plus primordial de disposer à temps de la bonne information.
La bibliothèque utopique, la bibliosphère, sera partout et nulle part. Elle sera surtout là où il y aura un bibliothécaire connecté et conscient de ses missions.
C’est cela la bibliosphère, et ce seront les bibliothécaires qui la réaliseront."
 
(Source : extrait de ma contribution au Médiathèmes #10 de l'ABF, pp. 149-151).
 
A lire aussi sur ce thème :

mardi 23 juillet 2013

énième rentrée littéraire

Les bruits d'une énième rentrée littéraire, et selon les goûts de chacun "littéraire" peut s'entendre souvent entre guillemets, remplace pour nous le chant des cigales.
"Malgré cela, il y a [toujours] des gens qui vous composent et vous débitent des livres à la douzaine, comme si c'étaient des beignets.", dixit déjà Miguel de Cervantès dans son Don Quichotte de la Mancha.
 
N.B. : la prospective du livre et de la lecture n'est pas dénuée -ni dénouée, d'une dimension don quichottesque ;o)
Bel été à toutes les lectrices et à tous les lecteurs de ce blog !
 

mercredi 10 juillet 2013

Et puis aussi plus rien n'est muet...

Italo Calvino, Les villes invisibles : "L'oeil s'arrête rarement sur quelque chose, et seulement quand il y a reconnu le signe d'autre chose : une empreinte sur le sable indique le passage du tigre, un marais annonce une source, la fleur de la guimauve la fin de l'hiver. Tout le reste est muet et interchangeable ; les arbres et les pierres ne sont que ce qu'ils sont."
 
  
D'intéressantes mises en perspective avec la bibliographie naturelle et le concept de bibliosphère dans le cadre d'une approche qui s'appliquerait à prendre acte de comment les processus de grammatisation conditionnent nos modes de pensées.
Pour simple rappel, "la bibliosphère est pour moi une déclinaison naturelle de la biosphère, la sphère dynamique du vivant qui doit naturellement lire, décoder et documenter son environnement pour y survivre. [...] L’idée même de bibliosphère sous-entend que les bibliothécaires se libèrent en fait de la chaine du livre pour s’investir personnellement et collectivement dans l’écosystème numérique global qui prend forme. [...] La bibliothèque utopique, la bibliosphère, sera partout et nulle part. Elle sera surtout là où il y aura un bibliothécaire connecté et conscient de ses missions." (extraits Médiathèmes : Outils du web participatif en bibliothèque, ABF, 2013).
 

vendredi 5 juillet 2013

Pistes de réflexions et perspectives fuyantes pour la prospective du livre

Au mois de juin j’ai eu l’occasion dans le cadre de mon activité de veille d’assister à plusieurs manifestations qui ont pu nourrir ma réflexion.
Les principales étaient :
— Le Colloque Sciences&Fictions à la Gaîté Lyrique, avec le soutien du Labex Arts H2H (Laboratoire d’excellence des Arts et Médiations humaines de l’Université Paris 8), avec comme participants Manuela de BARROS (Philosophe et théoricienne des arts), Pierre CASSOU-NOGUES (Philosophe et agrégé de mathématiques), Stéphane DEGOUTIN (Artiste et théoricien des médias), Ludovic DUCHATEAU (Artiste), Jean-Noel LAFARGUE (Ecrivain et bloggeur, expert en technologies) et Gwenola WAGON (Artiste et chercheuse), et dont l’objectif était d’explorer : « les liens complexes qu’entretiennent les sciences, en tant que créatrices de formes et de mondes, avec la fiction, et les projections imaginaires qu’elles suscitent dans l’art et la littérature, qui elles-mêmes font retour dans le monde scientifique », ce avec une extension sous la forme d’une exposition collective à la Galerie de Roussan (10, rue Jouye-Rouve à Paris).
— Les rencontres du Labo BnF, dont deux s’intéressèrent aux robots, à la robotique et à l’intelligence artificielle, mais durant lesquelles, étrangement et malheureusement, il ne fut guère question ni de livres ni de lecture ( ?).
— Le vernissage à la SCAM (Société civile des auteurs multimédias) de l’œuvre de l’artiste “plasticienne laborantine” Catherine Nyeki : Mimetika (Prix nouvelles écritures 2011). 
— La soutenance d’habilitation à diriger des recherches d’Alexandra Saemmer (enseignante-chercheur à l'Université Paris 8) sur le thème : "Pour une rhétorique de la réception du texte numérique".
— Le Forum Changer d’ère du 05 juin 2013 à la Cité des Sciences et de l’Industrie (Paris) qui ambitionne de s’inscrire dans le sillage du Groupe des Dix.  
— Les journées Futur en Seine au CentQuatre…  
— Enfin, le cycle « Histoire(s) de livre » à la Bibliothèque de l’Arsenal.
 
La voie du rêve…
  
Tout cela pourrait se résumer en une seule phrase : il nous faut déglacer notre rapport à la lecture sans surévaluer le numérique.
Et se décliner ainsi, sous la forme d’une liste de pistes et d’interrogations aux carrefours :
— Quel devenir pour les mots, le langage alphabétique, versus les codes numériques, la contamination algorithmique ? Une ère post-alphabétique, logiquement probable, est-elle imaginable pour nous ?
— Les livres communicants et intelligents, dotés potentiellement d’une “couche” d’intelligence artificielle, pourront être des organes exogènes. Pourront-ils être des satellites cérébraux ? Des moyens de transports au sein des contrées non-matérielles de l’imaginaire, par exemple ?
De nouveaux dispositifs de lecture pourraient être conçus comme des orthèses (appareils destinés à soutenir une fonction déficiente) pour documenter nos environnements de plus en plus complexes.
— Si nous admettons l’hypothèse transhumaniste, des lecteurs pourraient-ils coloniser des fictions ?
— Les nouveaux dispositifs de lecture qui pourraient être mis au point au cours des prochaines décennies nécessiteront-ils une plus grande coopération des lecteurs ? Je pense notamment à une “trêve d’incrédulité” pour véritablement accepter de “vivre en fiction”, de vivre dans une fiction (transmédia) comme s’il s’agissait d’une réalité (et si c’était déjà plus ou moins le cas ?).
— Nous devrions éviter la conception de dispositifs de lecture qui se défendraient des lecteurs et qui ne feraient que s’entre-lire, s’actualiser et s’augmenter entre eux en évitant le rapport aux scripteurs et aux lecteurs humains (problématique M2M)…
— Les brain-readers seront-ils les dispositifs de lecture du troisième millénaire ? Lire les images mentales générées lors de notre lecture (les processus hallucinogènes de la lecture immersive sont-ils proches de ceux de l’activité onirique ?). Quelles passerelles entre les images mentales et les images de synthèse ?
— Nous devrions aussi prendre garde aux dispositifs qui lisent les lecteurs que nous sommes. (De qui, de quoi sommes-nous les livres ?) (De plus en plus souvent j’entends parler de “lecteurs”, non plus pour désigner des humains qui lisent, mais des machines à décoder ceci ou cela !)
— Dans l’hypothèse d’une fin du monde terrestre des lecteurs pourraient-ils émigrer dans un univers inter, ou trans, ou métafictionnel, purement narratif ? Serait-ce alors la première fois ?
— Ne sommes-nous pas manipulés par, d’une part, le fantôme du papier, d’autre part, le fantasme du numérique ? En quoi l’interface du codex serait-elle indépassable ? Qu’allons-nous gagner et qu’allons-nous perdre en articulant nos pratiques de lectures à de nouveaux dispositifs ?
— Peut-on fonder la réflexion stratégique, la R&D des nouveaux dispositifs de lecture sur la notion de page-écran ? Il sera un jour aussi stupide de parler de l’une que de l’autre, tant ces interfaces seront alors dépassées (question des brain-readers, des lunettes ou des lentilles de réalité augmentée…).
— Quelle est déjà la part aujourd’hui dans nos pratiques de lecture numérique de l’influence des lecteurs non-humains qui agissent sur la diffusion des textes, leur circulation jusqu’à nous et leur ordonnancement ?
— Les territoires numériques (digitaux, metaverse…) sont-ils des “hors-soi”, ou, des “en-soi-écran” ?
— Passerons-nous simplement au cours du siècle de la monotonie de l’imprimé à la saturation du numérique (big data) ?
— etc.
 
La fin du rêve…
 
Quels constats tirer de toutes ces pistes de réflexion ?
Il me revient d’abord en mémoire cette déclaration de Geneviève Ferone au cours du Forum Changer d’ère : « Le premier qui bouge est dans une situation sacrificielle. ».
Je constate ensuite que tant les recherches littéraires au sens large, que les arts et notamment les arts numériques, sont plus avancés que les productions éditoriales bridées par les objectifs et les contraintes économiques.
L’interprofession du livre s’est au fil des siècles fortement structurée autour du marché du livre, et non pas en système innovant au service de l’étude de la lecture, son inscription et ses influences sur l’anthropocène.
Aujourd’hui la recherche et l’innovation au service de la lecture viennent des neurobiologistes et des cogniticiens, des designers et des artistes, de certains prospectivistes et de certains philosophes, de pionniers des territoires digitaux, de certains auteurs et de certains lecteurs. C’est pourquoi ma veille prend de plus en plus des chemins buissonniers et fait un grand détour quand elle s’approche de Saint-Germain-des-Prés.

lundi 1 juillet 2013

Des sources imaginaires de la prospective du livre...


L'imaginaire borgésien est certainement une des sources de la prospective du livre et de la lecture dans mon propre imaginaire.
Cette déclaration sereine en entrée de la nouvelle de 1975, Le livre de sable (dans le recueil éponyme) : « La ligne est composée d’un nombre infini de points ; le plan [la page] d’un nombre infini de lignes ; le volume, d’un nombre infini de plans [de pages] ; l’hypervolume, d’un nombre infini de volumes. » annonçait 
ce que nous vivons en ce début de 21e siècle, ces décevants dispositifs de lecture qui envahissent le champ du livre imprimé, ces tablettes écrans d’une seule et unique "page" réinscriptible, voire aussi le Web sémantique qui émergerait effectivement comme un hypervolume infini.
  
Durant ce troisième millénaire l’objet livre avec ses avatars multiples pourrait-il échapper au temps, passer des hypertextes aux hyperlivres ? Voire à un hyperlivre unique ?
Dans le labyrinthe de sa propre œuvre (?), qui pourrait en elle-même être bibliothèque d'une des villes invisibles d'Italo Calvino, bibliothèque-ville ou ville-bibliothèque, et qui s’élève en spirale autour de l’axe de la littérature, de la littérature fondée sur la production vivante de signes écrits et comme vivants eux aussi, bel et bien, d'une littérature vive conçue comme une mémoire collective partagée (« Les mots sont des symboles qui postulent une mémoire partagée. » écrit-il dans Le Congrès), dans ce labyrinthe les livres y figurent comme autant de bibliothèques labyrinthiques. Des livres dans les bibliothèques, nous accéderions finalement à toutes les bibliothèques dans Le Livre Unique. Volume ou rouleau infini ? Flux insaisissable ?
 
Le livre de sable est, avec La bibliothèque de Babel (écrite en 1941 et éditée en 1944), le texte qui à ma connaissance a le plus de liens avec ce que nous commençons à vivre.
Nous pouvons y ajouter Le Congrès (dans le recueil Le livre de sable). Il y est aussi question d‘une bibliothèque, de “La bibliothèque du Congrès du Monde”, laquelle n’est pas sans nous rappeler les ambitions de quelques projets contemporains.
Depuis la plus haute Antiquité le rêve d’une bibliothèque universelle hante les esprits fous de livres et de lectures. 
Pour les responsables du Congrès imaginé par Borges : « La bibliothèque du Congrès du Monde ne pouvait s’en tenir à des ouvrages de consultation et [que] les œuvres classiques de tous les pays et de toutes les langues constituaient un véritable témoignage que nous ne pouvions négliger sans danger. ».
La Bibliothèque de Babel n’est pas aujourd’hui sans nous rappeler les gigantesques data-centers des géants de l’électronique mondiale et de l’entertainment réunis, où chaque "livre" numérique est une infinie suite de 0 et de 1.
« L'univers (que d'autres appellent la Bibliothèque) se compose d'un nombre indéfini, et peut-être infini, de galeries [écrit Borges dans ce texte], avec au centre de vastes puits d'aération bordés par des balustrades très basses. De chacun de ces hexagones on aperçoit les étages inférieurs et supérieurs, interminablement. La distribution des galeries est invariable. […] Chacun des pans libres donne sur un couloir étroit, lequel débouche sur une autre galerie, identique à la première et à toutes. […] À proximité passe l'escalier en colimaçon, qui s'abîme et s'élève à perte de vue. Dans le couloir il y a une glace, qui double fidèlement les apparences. Les hommes en tirent conclusion que la Bibliothèque n'est pas infinie ; si elle l'était réellement, à quoi bon cette duplication illusoire ? Pour ma part, je préfère rêver que ces surfaces polies sont là pour figurer l'infini et pour le promettre... Des sortes de fruits sphériques appelés lampes assurent l'éclairage. Au nombre de deux par hexagone et placés transversalement, ces globes émettent une lumière insuffisante, incessante... » (Extrait de La Bibliothèque de Babel, 1941, in Fictions, trad. N. Ibarra revue par J.P. Bernés).
 
Je trouve ainsi naturellement chez Borges une dimension prophétique qui va au-delà de ce qu'Albert Robida écrivait en 1892 dans La vie électrique : « Ce que je pense de la destinée des livres, mes chers amis ? Si par livres vous entendez parler de nos innombrables cahiers de papier imprimé, ployé, cousu, broché sous une couverture annonçant le titre de l’ouvrage, je vous avouerai franchement que je ne crois point, et que les progrès de l’électricité et de la mécanique moderne m’interdisent de croire, que l’invention de Gutenberg puisse ne pas tomber plus ou moins prochainement en désuétude… ».
Borges a, à mes yeux, une dimension prophétique.
Dans ses contes et nouvelles oniriques, il prédisait simplement et raisonnablement ce que des prospectivistes aujourd’hui prévoient pour un avenir... qui se rapproche chaque jour de plus en plus.
 

dimanche 30 juin 2013

Les crimes contre les livres sont des atteintes aux lecteurs

Difficile souvent, au travers de ce que le livre imprimé est devenu de nourrir une nostalgie.
Il y a un vide -une zone de silence, que l'industrialisation des procédés a creusé. Depuis longtemps il y a un crime contre les livres qui est une atteinte aux lecteurs.
Pourquoi taire que les livres numérisés y participent, ne sont que les métastases de cette surproduction effrénée des livres et que la lecture s'y épuise.
Avec la fin du feuilletage la lecture nous file entre les doigts, la lecture sur écran échappe à nos yeux, elle fuit ailleurs, mais où ?
Où la lecture pourrait-elle poursuivre son besoin ou son rêve de livres ?

 Photo Licence domaine public CC0 1.0
 

samedi 29 juin 2013

L'après lire

Il y a des moments dans la vie des lecteurs, qui succèdent à l'ivresse d'avoir vécu d'autres vies, d'avoir parcouru d'autres mondes, et qui laissent une sensation de vide, comme une esplanade nettoyée par la pluie, avec une clarté, une tranquillité, une plus grande acuité de vision d'odorat d'ouïe sur les réalités du monde.
C'est à la culture de ces moments-là que l'édition du 21e siècle devrait s'attacher.

Photo Licence domaine public CC0 1.0
 

lundi 24 juin 2013

Actualisation de la liste des 135 acteurs francophones de l'édition numérique

 
135 entreprises concernées
 
(Rappel : ce listing participe de mon travail de veille stratégique et technologique, il n'a pas vocation à servir d'annuaire et ne constitue en aucun cas une recommandation.)
 

vendredi 21 juin 2013

Peut-on encore lire ? Participez à la conversation...

J'ai le plaisir d'annoncer la publication de Peut-on encore lire ? en collaboration avec Marc-André Fournier à son enseigne des Guides MAF.
De quoi s'agit-il ?
La
description du livre sur la boutique d'iTunes est la suivante et elle est juste : 
 

"Le livre numérique n'est pas qu'une question de support. Il soulève aussi des questions d'écriture, de lecture.
Deux points de vues sont proposés dans cet ouvrage.
L'un, empirique, dévoile les voies explorées par un auteur hypermédia pour aborder de nouveaux continents.
L'autre, réflexif, se pose la question du devenir de la lecture au regard des expériences menées aujourd'hui, du patrimoine littéraire existant.".

Le premier point de vue, celles et ceux qui suivent l'actualité des mutations à l'oeuvre dans le monde du livre et de la lecture l'auront compris, est celui de Marc-André, le second est le mien, celui d'un prospectiviste du livre qui n'est ni dans le camp de ceux de l'imprimé ni dans celui de ceux du numérique, mais qui se questionne et interroge ses contemporains sur le devenir de la lecture au cours de ce 21e siècle.
  
 
Je précise en introduction de ma partie intitulée L'Auteur en Prométhée de quoi il retourne en vérité.
" Cela fait quelques années que je suis attentif au travail de Marc-André Fournier et qu’il m’entretient de temps en temps de l’avancée de ses travaux et de ses explorations d’auteur pour utiliser les outils informatiques au service de son inspiration et de son projet.
Mais quel est-il ce projet ?
Ce serait un projet global d’écriture dont la ligne, oserais-je dire : “politique”, et définie avec mon vocabulaire et d’après mon point de vue, serait peut-être la suivante : prenant acte des changements des pratiques de lecture dans nos sociétés du 21e siècle, où les écrans deviennent les principaux supports et où l’image animée et sonorisée supplante le texte, l’auteur se doit d’écrire, non plus pour des lecteurs, mais pour des “médianautes”, l’écriture doit d’emblée être multimédia et ces apports autres que le texte sont des enrichissements.
Dans une société française pourvue d’un ministère de la culture et de la communication, au sein duquel le livre et la lecture relèvent d’une direction générale des médias et des industries culturelles, la posture pourrait certes être d’avenir, si elle ne se heurtait d’entrée de jeu à plusieurs obstacles.
[...]
J’observe donc ainsi depuis quelques années les efforts de Marc-André Fournier pour parvenir à cette écriture, j’observe avec sympathie, mais cependant, je le reconnais, avec une certaine réserve aussi.
Pourquoi ?
Je suis intéressé, mais je ne suis pas séduit.
Pourquoi suis-je réservé, alors que l’ambition et les efforts qu’il produit sont louables et a priori qu’ils se déploient dans une perspective qui devrait séduire un chercheur en prospective du livre ?
C’est en somme pour éclaircir cette zone d’ombre que j’ai accepté de répondre favorablement à son invitation de réagir ici à son texte “Une écriture pour Médianautes”.
Notre conversation au long cours, entrecoupée régulièrement de quelques mois sans nouvelles l’un de l’autre, sinon de se suivre par l’entremise de nos blogs respectifs et des réseaux sociaux, et se renouant toujours à Saint-Germain-des-Prés à une terrasse de café en lisière du jardin du Luxembourg, cette conversation pouvait-elle, peut-elle, demeurer stérile ?
N’aurait-elle aucun sens ?
Parlons-nous lui et moi de la même chose ?
Ou bien n’est-ce qu’un dialogue de sourds ?
C’est vous, lecteurs de ce petit essai à quatre mains et deux claviers, qui pourrez peut-être nous le dire…
"
(Extrait de l'introduction de ma partie, en réponse au texte Une écriture pour médianautes de Marc-André Fournier).
 
Ne nous ménagez pas vos critiques, elles nous font progresser. Merci.
  
Photos, de haut en bas : couverture du livre, captures d'écrans des deux parties, Lorenzo Soccavo à la terrasse de la brasserie Le Rostand face au Jardin du Luxembourg, photo DR Cathy Legendre.
 

jeudi 20 juin 2013

Réaliser la bibliosphère

J'ai eu le plaisir de participer à la deuxième édition revue et augmentée du Médiathème de l'Association des bibliothécaires de France consacré aux Outils du web participatif en bibliothèque, sous la direction de Franck Queyraud et Jacques Sauteron.
Mon texte, titré : Réaliser la bibliosphère a pour ambition de revenir rapidement sur le concept de bibliosphère que j'ai lancé en 2010 dans un petit essai baptisé De la bibliothèque à la bibliosphère (Morey éd.).
La bibliosphère est aujourd'hui pour moi une déclinaison naturelle de la biosphère, la sphère dynamique du vivant qui doit naturellement lire, déchiffrer, décoder son environnement, pour le documenter et y survivre.
"L'idée même de bibliosphère sous-entend que les bibliothécaires se libèrent en fait de la chaîne du livre pour s'investir personnellement et collectivement dans l'écosystème numérique global qui prend forme."
Ma conclusion à cet article est que "La bibliothèque utopique, la bibliosphère, sera partout et nulle part. Elle sera surtout là où il y aura un(e) bibliothécaire connecté(e) et conscient(e) de ses missions. C'est cela la bibliosphère, et ce seront les bibliothécaires qui la réaliseront."
 
Sur le même sujet sur ce blog :
 

dimanche 2 juin 2013

Quand serons-nous à la hauteur de la lecture ?


 
"Les inventions d'inconnu réclament des formes nouvelles" écrivait Arthur Rimbaud, dans sa fameuse Lettre du Voyant, le 15 mai 1871.
 
De fait leurs iPad, leurs Kindle, et leurs joujous pour lire ou, parfois, faire semblant, que sont-ils ?
Sans doute des gramophones comparés à ce que sera véritablement le dispositif de lecture du 21e siècle, ou du suivant...
Je l'espère.
Considérons le saut technologique entre une tablette d'argile et un rouleau de papyrus, considérons le saut technologique entre un rouleau de papyrus et le codex, un livre constitué de cahiers de feuilles reliés entre eux et protégés par une couverture. Considérons le passé et ayons honte.
Et (paraphrasant Apollinaire) pour tenter, sinon une rénovation du livre, du moins un effort personnel, je pense qu’il faudrait revenir à la nature même des civilisations de l'écrit, mais sans l’imiter à la manière des photographes : "Quand l’homme a voulu imiter la marche, il a créé la roue qui ne ressemble pas à une jambe. Il a fait ainsi du surréalisme sans le savoir." (Guillaume Apollinaire, Les Mamelles de Tirésias - Préface).
 

lundi 27 mai 2013

Lecture d’un Plaidoyer pour un renouveau de l’émotion en littérature

[N.B. été 2019 : l'auteur de l'ouvrage concerné ci-dessous m'ayant fait savoir clairement qu'il avait désapprouvé mes impressions de lecture je n'ai fait, par pure politesse, que signaler de la manière la plus neutre possible sa plus récente publication et m'abstiendrai à l'avenir.
Je rappelle que ce blog n'est en aucun cas un blog de critiques ou de recensions de livres, mais un espace personnel indépendant dans lequel je me fais l'écho de mes propres recherches sur la prospective et la mythanalyse de la lecture et des travaux qui s'y rattachent.] 
  
C’est d’abord le titre qui m’a accroché. Depuis l’adolescence je suis en effet un lecteur obsessionnel, principalement de romans que je considère comme des chantiers de la subjectivité et des laboratoires de “la vraie vie”.
J’ai donc lu, il y a quelques semaines déjà, ce livre de Jean-François Vernay, enseignant et essayiste littéraire, récemment paru aux éditions Complicités, sous ce titre : Plaidoyer pour un renouveau de l’émotion en littérature.
 
Ces dernières semaines, avec le travail du temps et son lot de nouvelles lectures, ces dernières semaines m’auront finalement sans doute été bénéfiques pour prendre un certain recul et être peut-être moins critique que je ne l’aurais été à la fermeture de l’ouvrage.
Dans cet essai Jean-François Vernay a pour ambition de nous faire partager sa conviction de lecteur et d’enseignant que la lecture est chose sensible et qu’il serait temps de réhabiliter l’affectivité dans une pratique en partie gouvernée par l’émotivité conjuguée des auteurs et des lecteurs.
C’est ce qui fait que j’ai eu envie de le lire et que j’en recommanderais la lecture malgré les quelques réserves que je vais exprimer dans la suite de ce “post”.
  
Rapprocher la sensibilité et la réflexion
 
« Mon approche, précise l’auteur en fin d’ouvrage, aspire à réconcilier le lecteur professionnel [auquel il s’adresse prioritairement] qui se fait attentif aux diverses techniques romanesques et le lecteur amateur qui s’abandonne plus volontiers à la jouissance du texte. Le lecteur professionnel qui procédera à une analyse psycholittéraire sera invité à communiquer le plaisir que lui a procuré le texte littéraire et à rendre justice à la chair des mots en proposant des analyses textuelles qui engagent autant sa réflexion que sa sensibilité. » (p. 94).
Les axes qu’il finit par définir, et qui pourraient chacun être l’objet d’un essai, sont ainsi :
- Réhabiliter la subjectivité,
- Prendre en compte la jouissance esthétique,
- S’intéresser aux divers positionnements de la philosophie sur le roman,
- Tirer des enseignements des théories de la psyché et intégrer les avancées des neurosciences,
- Prendre la mesure des affects dans l’interprétation, la conception et la réception de l’œuvre littéraire.
Tout un programme ! Et auquel j’adhère.
 
Il aurait été, en effet, fort intéressant qu’il soit développé dans ce plaidoyer où il n’est finalement pas véritablement question, ni de régrédience (position pulsionnelle réceptive passive et hallucinatoire de la lecture immersive, qui fait que les mots lus font images pour le lecteur captivé), ni d’abréaction (réduction de la tension émotive).
Vincent Jouve allait bien plus loin en avançant lui l’idée que : « Si, donc, les structures textuelles maintiennent en éveil la conscience critique du lecteur, le retour du refoulé dans la lecture conduira à la progression et non à la régression. Au lieu de revivre servilement une scène « identique », le lecteur pourra se réinvestir différemment dans une « même » scène. La lecture de certains textes permet ainsi des « effets en retour » qui rendent possible l’ « abréaction » […] décharge émotionnelle par laquelle un sujet peut se libérer des traces en lui d’un événement traumatique. » (La lecture, p. 103, Hachette éd.., réédition de 2006).
  
Un essai à transformer !
 
Pour un public de lecteurs obsessionnels, d’enseignants du secondaire, de lycéens très motivés ou d’étudiants en littérature, l’essai de Jean-François Vernay a le grand mérite d’être plus abordable que nombre d’ouvrages universitaires qu’il cite sans retenue.
Je ne peux cependant m’empêcher d’établir un parallèle entre son livre et la synthèse que je viens d’évoquer du chercheur en théorie littéraire Vincent Jouve, plus sobrement titrée : La lecture, et proposant en 1993 aux éditions Hachette un tel panorama des théories de la lecture des œuvres littéraires depuis les années 1970.
Théories et pratiques de la lecture littéraire, sous la direction de Bertrand Gervais et Rachel Bouvet, paru en 2007 aux Presses de l’Université du Québec fait de même état des recherches conduites par le Groupe de recherche sur la lecture (GREL) de l’Université du Québec à Montréal et qui ont eux : « abordé la lecture comme un processus dynamique, d’abord et avant tout, comme une activité mettant en présence un lecteur singulier et un texte singulier. Le point de départ était simple : la lecture met en jeu un ensemble de processus qui se complexifient en se déployant. Elle ne doit pas être conçue comme un geste unique, toujours équivalent, toujours parfait, mais comme un équilibre particulier et à chaque fois renégocié entre ses divers composantes, qu’elles tiennent à la manipulation, à la compréhension ou à l’interprétation des textes. » (p. 1).
Au-delà sa louable intention, ce qui peut faire l’intérêt de ce plaidoyer est son véritable florilège de citations, mais qui devient cependant agaçant parfois lorsque l’auteur cite un auteur qui cite un autre auteur. Cette mise en abyme apporte peu à un lecteur professionnel et égare un lecteur amateur.
  
Revaloriser le statut de lecteur
  
Dans cette sphère des lecteurs professionnels à laquelle appartient l’auteur ces questions sont connues. Le véritable enjeu serait maintenant de porter ce juste plaidoyer dans l’agora des lecteurs.
Il faudrait pour cela élargir son horizon et véritablement se rapprocher et s’adresser au « lecteur amateur qui s’abandonne plus volontiers à la jouissance du texte. ».
Peut-être que Jean-François Vernay et moi n’avons simplement pas les mêmes références. Si j’enseigne, je ne suis pas pour autant enseignant, si j’ose dire estampillé “éducation nationale”. Aussi ai-je été surpris de ne trouver dans un livre qui en moins de cent cinquante pages accumule autant de citations, aucune référence à, par exemple, l’essai de Nancy Huston : L’espèce fabulatrice, ni à celui de Frédérique Leichter-Flack : Le laboratoire des cas de conscience, alors que tous deux auraient, je pense, bien illustré les arguments de notre auteur tout en ouvrant des perspectives à ses lecteurs.
Rien non plus sur la bibliothérapie, ni sur les travaux de Stanislas Dehaene, auteur du fameux Les neurones de la lecture, alors qu’auteur et éditeur annoncent pourtant l’ouvrage comme plaidant « pour une réflexion nouvelle concernant l'émotion en littérature à partir du progrès important des neurosciences ces dernières années. » ( ?).
En s’extrayant de l’actuelle mutation des pratiques de lecture cet ouvrage, par ailleurs pas inintéressant, reste malheureusement dans le pré carré des études littéraires. Se voulant érudit il néglige des sources et des ressources qui auraient enrichi son propos.
Comment ignorer que les lecteurs amateurs, ceux là qui se laissent emporter par leurs lectures sentimentales, se déguisent aujourd’hui en auteurs et que des industriels du divertissement travaillent à rentabiliser leurs pulsions créatrices (lire par exemple Ebooks : Kindle Worlds, le boulet de canon d’Amazon).
Comment ignorer que les technologies immersives vont bientôt rendre possible une véritable plongée du lecteur dans la fiction (lire par exemple : Autre côté de l'histoire, autre côté du miroir ).
  
Au fond, c’est un peu dans ce livre comme si Jean-François Vernay souffrait quelque part de l’aridité universitaire sans pouvoir cependant véritablement s’en défaire et exercer pleinement sa liberté d’esprit et… de lecteur.
Attendons la suite…
Réhabiliter la subjectivité, prendre en compte la jouissance esthétique, s’intéresser aux divers positionnements de la philosophie sur le roman, tirer des enseignements des théories de la psyché et intégrer les avancées des neurosciences, prendre la mesure des affects dans l’interprétation, la conception et la réception de l’œuvre littéraire, dit-il.
Tout un programme ! Et auquel j’adhère.