
Ce post est donc le 30/52.
Pas une semaine depuis que je me suis lancé dans cette chronique, pas une semaine sans qu’une information ne vienne révéler une prise de position ou un investissement des compétiteurs de l’édition numérique sur le marché de l’autoédition.
Pas une semaine depuis que je me suis lancé dans cette chronique, pas une semaine sans qu’une information ne vienne révéler une prise de position ou un investissement des compétiteurs de l’édition numérique sur le marché de l’autoédition.
Cette semaine la plateforme d’autoédition FastPencil signait un partenariat avec la première chaine de librairies américaines Barnes & Noble. Récemment l’un des plus importants éditeurs américain, Pearson, a racheté une autre plateforme d’autoédition, Author Solutions Inc., et même le célèbre Projet Gutenberg de Michael Hart vient de lancer sa propre plateforme d’autopublication.
Comme le rappelle Hubert Guillaud : « Pearson n'est pas le seul éditeur à posséder sa plateforme pour accueillir les auteurs. Harper Collins possède Authonomy. Et le rachat de site d'autopublication semble bien être la nouvelle mode... Car il n'y a pas que les éditeurs que ces plateformes intéressent. Les gros libraires électroniques également cherchent tous à avoir une plateforme pour que les auteurs puissent publier facilement leurs œuvres (et qu'eux puissent les vendre via leurs appareils et leurs librairies en ligne... bien sûr). Barnes & Noble dispose de Pubit. Amazon a son Kindle Direct Publishing (ainsi qu'Audible pour les audio books et CreateSpace). Apple a lancé iBooks Author pour simplifier l'accès à iTunes Connect. Kobo vient de lancer Writing Life… » (Source : Les plateformes d’autopublication sont-elles l’avenir de l’édition électronique ?).
L'autopublication est le secteur du livre qui connaît la plus forte croissance, laquelle est par ailleurs certainement emblématique du développement dans la population des outils logiciels et des TIC.
A en croire l’actualité et les fruits de mon travail de veille, ce phénomène pourrait s'imposer comme un nouveau paradigme dans les prochaines années. Ce ne serait certes alors qu'une forme de retour aux sources, mais qui pourrait cependant en prévoir les effets de nos jours, dans des sociétés fortement alphabétisées et de plus en plus équipées en solutions technologiques ?
Le fait que cette question ne fasse pas l'objet d'un véritable débat de société marque selon moi un renoncement collectif à réfléchir l’avenir que nous construisons. A moins que nous laissions plus ou moins volontairement à d’autres le soin de restructurer le marché du livre et que nous ne fassions pas le lien entre la circulation des livres et celles de la parole et des idées. De la liberté de parole et de la liberté d’esprit.
Tous ont droit. Mais où est leur devoir ?

Mais pour avoir moi-même commis jadis quelques crimes en poésie, je m’interroge sur le mal que font à la poésie tous ces poètes autoproclamés, aux rangs desquels je me suis stupidement compté il y a quelques années. Tous les tableaux peints ne sont pas des peintures et la fête de la musique n’est pas celle de sa muse.
C’est dommage, mais force nous est de reconnaître que ni le talent ni le style ne sont distribués en une répartition égalitaire. Cela ne se décrète pas, ne se décide pas, ne se juge pas : cela se ressent ; dans le face à face nous ressentons bien que ce n’est pas, que c’est en marge de l’art.
Je ne juge pas les auteurs autoédités et je ne nie pas la probabilité que de véritables œuvres de la littérature y trouvent leur terreau. Je constate seulement que je dessine fort mal, que je chante comme une casserole, et que je suis loin de me satisfaire de mon écriture, et aussi, que le web nous le prouve à tous les instants : tout n’est pas bon à être publié.
Qu’est-ce qui empêche que cette question fasse l’objet d’un véritable débat de société ?
Qu’est-ce qui nous empêche de regarder en face ce déploiement des plateformes d’autopublication ?
Le fait que la chose flatte nos sentiments démocratiques. Le fait de nous considérer, nous et notre environnement, comme éternels, et de ne pas songer ni à ce que nous laisserons ni à ce qu’il restera de nos productions. Le fait d’être aveuglés par un unique modèle occidental américain (c’est évident dans l’actualité de l’édition numérique). Le fait de se couper du passé et de ses canaux de transmission (la perspective transhistorique que j’essaye de dégager en prospective du livre). Le fait aussi de ne pas remettre en question les savoirs acquis, ni la doxa véhiculée par les médias de masse. Etc.
Mais qu'adviendra-t-il le jour où presque tous les lecteurs seront également des auteurs ? Quelle chance aura un titre lié à des milliards de titres ? Qui le lira, à part son auteur et sa communauté ?
Et si derrière le mirage séduisant de l’autoédition, derrière les intérêts économiques de façade de quelques prestataires de services, vendeurs de rêves et de vent, flatteurs d’égos, se profilait une réalité plus dure ?
Quelle censure du livre serait plus efficace en effet que celle qui se mettrait insidieusement en œuvre en permettant à chacun d’écrire et de publier tout ce qu’il veut pour être uniquement lu par lui et les siens, petit cercle bien délimité, bien repéré, et sans risque qu’ils découvrent d’autres écrits que les leurs ?
La mutation de l’espèce
Je pense que favoriser l’autoédition est (depuis un certain temps déjà) le moyen qui s’est mis en action pour noyer dans le flux les voix singulières.
Et en ce qui me concerne, et ce d’autant plus qu’il ne s’agit aucunement de fiction (domaine pour lequel, au vu du népotisme et du formatage de l’édition, je comprends mieux l’opportunité de ce choix et j’y opterais peut-être moi-même), en ce qui me concerne donc, disais-je, considérant qu’il ne s’agit pas de fiction, mais, d’une réflexion critique sur le devenir du livre et de la lecture au cours du siècle : je m’interdis l’autoédition, je considère que, dans le contexte actuel, le refus des éditeurs est un acte de violence et je me garde le droit d’y répondre un jour par la violence.
Des auteurs se regroupent en collectifs et, à défaut de faire respecter leurs droits, espèrent garder suffisamment la maitrise des outils de publication, et espèrent pouvoir préserver des espaces de liberté. Ils espèrent beaucoup et j’espère avec eux. Des lecteurs apprennent la liberté d’esprit à leur contact et espèrent qu’ils pourront contourner les circuits imposés des plateformes et les recommandations algorithmiques. Toutes ces espérances, trompées par la réalité au cours des millénaires, survivent aujourd’hui ; et l’espérance folle que quelques individus de bonne volonté puissent se reconnaître et changer le cours du destin, demeure. Et cela déjà est inexplicable et devrait nous questionner davantage. C’est le drame.
Mais la réalité qui progresse elle aussi est sans commune mesure avec, par exemple, une colonne de chars sur la place Tian'anmen. Par rapport à cette chose-là, les chars chinois sont des fourmis. Et cela passera sur le corps de ces auteurs-là, de ces lecteurs-là, eux qui cherchent à orienter autrement le cours du livre et de la lecture pour les décennies qui s’ouvrent devant nous.
Et de quels mirages ce “devant nous” est-il agité ? De quelles hallucinations ? Ce n’est nullement un horizon plein de promesses. Les heures les plus sombres du passé semblent resurgir du néant pour venir habiter l’avenir et, lorsqu’elles se dissipent, c’est pour dresser devant nous l’éclat métallique d’hommes-machines obéissantes.
Qui sait si dans quelques siècles le choix ne se résumera pas à, soit, devenir des armes, soit, devenir des livres ?
De quelle côté penchera alors la majorité ?
Quel que soit le résultat, comment l’espèce des hommes-livres pourrait-elle survivre si un seul, un seul, était de l’espèce des armes.
La machinerie qui est lancée dans le temps, lancée sur nous, seuls des livres pourront la stopper. L'autopublication est-elle alors un danger supplémentaire, ou bien, la solution ? Peut-être, cette semaine, ai-je déliré un peu...
La machinerie qui est lancée dans le temps, lancée sur nous, seuls des livres pourront la stopper. L'autopublication est-elle alors un danger supplémentaire, ou bien, la solution ? Peut-être, cette semaine, ai-je déliré un peu...