vendredi 21 décembre 2012

La lecture (tout simplement ;-)

La lecture d'un texte est généralement une communication différée. Aujourd'hui elle est dissociable de ses supports et peut avoir une audience potentiellement universelle.
Plus que jamais la lecture est une interaction productive avec les lecteurs.
Depuis les années 1970 se sont développées diverses théories sur la lecture. Sans avoir aucunement la prétention de les connaitre ni de les maitriser toutes, j'essaye seulement, avec la représentation graphique ci-après, d'en réunir et synthétiser les éléments convergents permettant de répondre à cette question : que se passe-t-il lorsqu'on lit un texte ? et d'envisager de comprendre : comment un texte et ses supports programment-ils leurs réceptions ? 
(Ce travail m'a été inspiré par la lecture de l'essai de Vincent Jouve, titré : La lecture, et paru en 1993 aux éditions Hachette Livre.)
 



dimanche 16 décembre 2012

Semaine 50/52 : Le livre comme symbolon

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon sentiment personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 50/52.
 
Je me demande souvent quelle serait aujourd’hui la manière la plus féconde de repenser le livre ?
Peut-être comme un symbolon ?
Un symbolon était dans la Grèce archaïque un fragment d’objet cassé en deux parties, chacune remise à un contractant. Nous sommes là à l’origine du terme et du concept de symbole. C’est dans le lien invisible, la relation qui unit les deux parties et qui leur permettra le moment venu de se reconnaître complémentaires, l’une comme l’autre, liées l’une à l’autre, que réside toute la puissance invisible du symbolon, sa puissance dans la séparation même, par opposition à celle du diabolo qui, lui, divise.
 
Se délier de son odyssée ?
 
« Lire, nous l’avons peut-être oublié, c’est se tenir à la limite d’un domaine dangereux, à une frontière d’où nous appelions et en même temps rejetions un autre à la ressemblance de celui que nous logions, un autre auquel il fallait bien faire appel pour justifier les incursions que nous risquions dans les territoires secrets que nous abritions. Cet autre de soi, cette ombre portée, cet autre foyer de l’ellipse qu’on peut poser comme une hypothèse nécessaire, ou un artifice de calcul, quand nous lisons, à travers nos émotions ou les profits d’un savoir, ne faisons-nous peut-être qu’en convoquer la présence, que créer les conditions de son observation. » (Jean-Louis Baudry, “Un autre temps“, Nouvelle revue de psychanalyse, 1988, “La lecture”).
 
Comme il faut un point d’appui pour qu’un levier puisse être un outil opérationnel, cette citation, ci-dessus, a joué ce rôle alors que je m’interrogeais sur ce que m’apportait en vérité la lecture.
 
Je me demandais comment imaginer à la lettre une civilisation post-alphabétique, et supposer ses équivalences et ses représentations mentales avec le monde qui est le nôtre aujourd’hui ?
Comment nier le mystère qui surgit dès lors que l’on s’éloigne du présent ?
En fait, tant l’origine que l’avenir du livre et de la lecture ne sont pas opaques à ma réflexion : ils sont, tout simplement, mystérieux. Comme écrits sur une pliure, difficilement déchiffrables.
Il se pourrait cependant, d’après ce dont je puis avoir l’intuition, que notre univers soit une vaste structure narrative.
Je constate souvent, comme vous-mêmes je pense, que nos vies sont forcément, férocement parfois, romanesques, même si nous ne sommes généralement que des personnages secondaires, troisièmes couteaux, seconds rôles au mieux le plus souvent, mais toujours personnages et jamais figurants ; des personnages en quête d’auteur.
Dans l’histoire littéraire nous pourrions trouver des marqueurs de cela je pense, dans les récits sans intrigue notamment, la veine des antihéros et celle de l’autofiction, les expérimentations de l’Oulipo et de l’Alamo (Atelier de littérature assistée par les mathématiques et les ordinateurs), des écritures numériques plus récemment et des générateurs de textes…, autant de pas vers un horizon dont les lignes semblent se préciser depuis 1971.
Seulement, l’actualité quotidienne en parasite l’écho narratif, brouille la ligne sur laquelle nous inscrivons vaille que vaille nos vies et nos vices dans le (dis)cours.
Déterminer notre place sur la portée, notre tonalité propre, le juste interligne sur lequel nous pourrions nous rattacher au récit, cela reste, cela est possible je pense, mais cet exercice fait de nous des funambules, des personnages de fiction.
Dé-lire ainsi sa propre histoire, sa légende personnelle, permettrait-il de se délier de son odyssée ?
Suspendre ses préjugés et réévaluer son propre personnage par rapport au récit global, universel, seraient donc les étapes pour parvenir, par les livres et la lecture, à une redécouverte de soi, d’un moi-lecteur tout frétillant, comme un petit poisson d’argent dans les filets d’un « Il était une fois… ».
 
Dans l’espèce humaine, l’embranchement des lecteurs, ces plantes mélancoliques que sont les lecteurs, eux, les lecteurs, seraient sans doute plus sensibles que les autres à ces influx que j’évoque ici. Peut-être.
Les livres seraient peut-être ainsi des symbolons, reliant les lecteurs par la lecture, ce lien invisible, cette relation qui unit dans la distance et l’histoire, ce que l’espace et le temps ont désuni.

samedi 15 décembre 2012

Retour sur la conférence de Florian Forestier sur l'écrit et la spatialité

Très intéressante conférence hier soir sur la plateforme de web 3D immersive Francogrid, au sein de l'incubateur MétaLectures, que j'y ai lancé en janvier 2012.
Florian Forestier, docteur en philosophie, membre du CEPCAP (Centre d'études de la philosophie classique allemande et de sa postérité) de la Sorbonne, et chargé de collection à la BnF, nous a en effet entretenu durant une petite heure du thème suivant : "L'élargissement de l'ordre des livres : l'urbanisme comme modèle".
Ce sujet l'a conduit à aborder la question de l'hybridation du réel et du virtuel, phénomène pour le moins singulier que nous sommes de plus en plus nombreux à expérimenter au quotidien sur Francogrid en général et MétaLectures en particulier, pour ce qui concerne l'exploration de nouvelles formes de médiations autour du livre et de la lecture.
Personnellement j'en avais fait l'expérience pour la première fois en 2007, avec une conférence au sein de la Bibliothèque francophone du Métavers.

Elargissement de l'ordre des livres...
 
Extraits de la conférence de Florian Forestier, qui fut suivie par une quinzaine d'internautes avatarisés de la France entière et en vidéo live streaming par quelques dizaines d'autres (lien vers la captation vidéo) et fut prolongée avec de riches échanges entre l'auditoire et le conférencier :
 
" Cette conférence est composée à partir de deux articles que nous avons écrits : « L’élargissement de l’ordre des livres », publié dans la revue Argus, décembre 2012, et « Internet comme espace urbanisé », en attente de publication.
 
Où va le livre ?
  
Dans la continuité des travaux de Leroi-Gourhan, un certain nombre de penseurs contemporains, dont, particulièrement, Bernard Stiegler, comprennent le développement humain comme une extériorisation progressive de la mémoire. Une des fonctions du livre-objet a été de participer à ce processus de « domestication » collective de la mémoire. Le livre-objet servait ainsi de processus de stabilisation et d’extériorisation d’une mémoire fortement dépendante des opérations de la pensée humaine, donc fragile, et exigeant des processus de transmissions rigides. Roger Chartier évoque, à ce sujet, un « ordre des livres », amorcé avec la mise en place du codex dans les premiers siècles de notre ère et renforcé par l’invention et la généralisation de l’imprimerie. [...]
 
La finitude du livre
 
Des formes symboliques comme le livre-objet, en d’autres termes, ne sont pas seulement des outils cognitifs. Elles participent plutôt à l’inscription matérielle du rythme de la pensée se cherchant, se retenant, se contrôlant, s’affinant. Elles matérialisent l’excès de la pensée sur ce qu’elle peut retenir d’elle-même – excès qui n’est que l’autre face de l’inscription et de l’appartenance de la pensée au monde. Au-delà de certaines caractéristiques de la matérialité spécifique du livre-objet (la relation quasiment insécable entre le texte et le support), c’est bien à l’organisation fondamentale d’une forme de vie que celui-ci participe. [...]
 
Le livre et la ville
 
... la question de l’élargissement du livre au-delà du livre est également celle de l’architecture. La problématique du déplacement de l’ordre des livres recoupe la très intéressante réflexion menée par un certain nombre de philosophes contemporains sur l’architecture en tant que dimension fondamentale de la constitution d’une expérience comme expérience humaine. Le déploiement de la pensée, s’avisent ces derniers, est spatial aussi bien que temporel. Ainsi, « l'architecture est une condition de possibilité de la fiction, et, sans doute, du dire et du penser en général. », écrit Benoît Goetz, qui, dans la filiation de Heidegger et Derrida, lie même de façon indissociable pensée et spatialité. L'architecture est mise en œuvre d'horizons de sens : en cela elle est « condition de possibilité », lieu d'articulation des dimensions de sens qui traversent l'expérience. [...]
  
L'espace et la métaphore urbaine
  
La ville est un modèle fécond sur au moins deux plans. Tout d’abord, parce qu’elle constitue un exemple de système complexe et évolutif « non-borné » ; ensuite, parce qu’elle permet de penser de façon originale et pertinente à notre époque la mise en œuvre d’horizons de sens au sein d’un espace générateur.
La métaphore urbaine est une façon de penser sans la réduire la complexité des univers de l’information, mais également de comprendre que cette complexité se traduit par une structuration. [...]
 
La ville et Internet : deux espaces qui s'hybrident
 
C’est bien ici une hybridation, non seulement de l’Internet, mais du virtuel en général et du (disons) réel qui a lieu. D’une part, on interagit avec l’environnement physique comme s’il s’agissait d’un environnement virtuel, en y cliquant, y naviguant, et d’autre part le numérique vient lui-même s’inscrire dans l’espace réel au sein duquel on le rencontre comme on rencontre les autres objets. [...]
 
La patrimonialisation d’Internet : quelques observations sur le Dépôt Légal du web
 
L’évolution des pratiques liées à Internet invite à se pencher sur le statut – légal et symbolique – à accorder à cet Internet épaissis et densifié. [...] "
 
  

dimanche 9 décembre 2012

Semaine 49/52 : L’abolition de l’espace (du livre puis du corps…)

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon sentiment personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 49/52.
  
J’aurais peut-être pensé cela de toutes les époques où j’aurais pu vivre, mais n’empêche que je le pense aujourd’hui bel et bien de la nôtre : nous vivons une époque bizarre.
Par exemple, j’ai mis cette semaine moins de temps pour aller en train de Paris à Bruxelles, que je n’en ai mis en rentrant le soir à Paris, de la Gare du Nord à chez moi aux portes du treizième arrondissement en métro. Je n’ai pas une nature voyageuse, je voyage surtout dans les livres, mais je crois bien que j’avais mis encore moins de temps pour aller à Naples ou à Madrid en avion. Peu importe les détails objectifs. Ce qui m’intéresse dans cette digression est mon sentiment subjectif, étayé par ma montre, à savoir que : plus je vais loin, moins je mets de temps !
Je rapproche cette observation, pour le moins paradoxale, de mon accès presque absolu (en fantasmant légèrement) à la bibliothèque mondiale, avec une simple connexion au web, et à ce fait corollaire que je peux accéder plus rapidement à un document, de la BnF par exemple, via Gallica, depuis chez moi devant mon ordinateur, qu’en me rendant sur les lieux.
Au tout début de La montagne magique, Thomas Mann, faisant relation de l’approche d’Hans Castorp du sanatorium international Berghof, éclaire ce rapport du temps et de l’espace : « L’espace qui, décrit-il, tournant et fuyant, s’interpose entre lui et son lieu d’origine, développe des forces que l’on croit d’ordinaire réservées à la durée. D’heure en heure, l’espace détermine des transformations intérieures, très semblables à celles que provoque la durée, mais qui, en quelque manière, les surpassent. ».
 
Du moment que nous sommes connectés, une surcouche sensible aboli les repères du temps et de l’espace physiques, voilà en quoi résiderait peut-être un rapport analogique entre volume des livres et temps de lectures, entre livres dématérialisés et connexion permanente.
 

Signaux faibles et tendances émergentes…

    
J’insiste toujours dans les cours que je donne sur la nécessité de bien distinguer les tendances émergentes, qui ont une probabilité de se développer et de s'imposer à court, moyen ou long terme, des signaux faibles, informations fragmentaires répétées et convergentes, mais dont le sort est plus difficile à déterminer, et des phénomènes purement conjoncturels, liés eux à des effets de modes, à d’éphémères stratégies industrielles ou marketing.
Ce n’est pas ici le lieu de telles analyses, mais j’indiquerais quelques-unes de ces tendances, de ces signaux, pêle-mêle, juste pour brouiller nos certitudes sur le livre et entrer (peut-être) dans l’abolition de ce qui pour le lecteur fait (peut-être) barrière entre le réel et la fiction.
J’indiquerais ainsi le développement d’une logique de l’accès versus la possession, en parallèle au développement de pratiques non marchandes autour du livre et de la lecture et au mouvement open source ; la renaissance de la littérature dans la réalité augmentée, le transmédia, les arts numériques, la ludification ; la plus importante perméabilité de la frontière entre amateurs et professionnels ; enfin, la possibilité d’un nouveau type d’interfaces de lectures, mixage du papier et des écrans (à terme de la peau ?) ; la miniaturisation des supports de stockage, en parallèle des bio-nanotechnologies.
 
Ce ne serait en fait qu’une question de temps et de générations, d’aspiration du temps, de laps (qui) suce : de ce bref instant où les mots permutent à mon insu, où la langue se joue de moi ; birlibirloque de la langue comme si j’étais toréé par elle, comme si le langage, difficilement conquit dans les années 1960, m’utilisait depuis lors, et m’instrumentalisait aujourd’hui au service de la promotion de ses avatars technicisés.
 
C’est juste une question de temps (temps de lire, des lectures et des lecteurs, temps diégétique — celui des histoires lues…), de temps passé à lire, et d’espace, du volume des livres et de celui du corps des lecteurs, des lectrices, de mon propre corps avec ses manifestations triviales, et d’espace virtuel parcouru durant la lecture.
A ce carrefour dont nous approchons qu’allons-nous rencontrer ?
 

Peut-on utiliser le livre pour ce qu’il est en vérité ?

 
C’est quelque part une déviation, un fétichisme, une perversion, que de considérer le livre comme un objet esthétique en soi. C’est en fait je pense beaucoup plus que cela.
C’est d’un véritable prolongement de l’être humain dont il s’agit, une projection de sa parole, de sa gestuelle, de son cheminement, de son passé nomade et agité ; de tout cela l’objet livre serait une mise en ordre.
Mais le livre en vérité dans ses entrailles toujours poursuit et manifeste notre nomadisme, au-delà nos postures statiques de lecteurs. Il nous court après.
 
Le rapport sage et respectueux que nous entretenons vis-à-vis du livre imprimé, marqué d’interdits, atteste de sa totémisation.
On constaterait aisément, si l’on était un peu attentif, que les interdits qui s’appliquent aux livres sont les mêmes que ceux qui s’appliquent à la chair humaine. Brûler. Manger…
 
Avec les avancées des nanotechnologies et des neurosciences le livre pervasif, diffus, se réordonnera peut-être au cours de ce millénaire sous la forme de prothèses, voire de fonctions, voire d’organes supplémentaires.
Pourrait-on imaginer alors l’émergence d’une nouvelle espèce, d’une chimère, mi-humaine mi-livresque ? Cela s’appelle des personnages de roman. Et certains sont en quête d’auteur.
 

dimanche 2 décembre 2012

Semaine 48/52 : Les arts numériques, ligne de fuite pour la littérature ?

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon sentiment personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 48/52.
 
J’ai vu deux très beaux cèdres sous la pluie cette semaine.
Je me demande parfois s’il n’y aurait pas plus d’humanité à être un arbre qu’un humain en proie à l’indifférence ou au mépris de ses pairs.
La force d’inertie qui se déploie occupe presque tout l’espace vital qu’il me reste. J’ai presque manqué d’air dans les heures qui ont suivi. Je ressens durement cette froide résistance au changement, comme des parois lisses, sans failles, je le ressens particulièrement dans les non-réactions à l’incubateur web 3D immersive que j’ai lancé en janvier de cette année. Qui pourtant pourrait encore nier la porosité de son quotidien au numérique, que la réalité devient les réalités, qu’elles sont mixtes, aléatoires, augmentées, enrichies, ou artificiellement appauvries ou contrôlées, plus ou moins à notre insu.
Garder ses œillères c’est laisser les maquignons faire, les faquins gouverner.
L’homme est au fond un animal domestique apparemment.
L’offensive du numérique au Salon du livre et de la presse jeunesse, qui se déroule actuellement à Montreuil, ne peut pas être niée, par quiconque. Dans moins d’une génération, dans une dizaine d’années seulement, deux fois cinq ans, ces jeunes seront ou ne seront pas le lectorat du siècle.
 
Je ne pense pas avoir failli depuis le lancement de cette chronique, il y aura bientôt un an. C’est bien de l’actualité que je traite toujours, même si je ne donne pas toujours les clefs, les noms, le contexte ; si j’essaye, immodestement sans doute, de prendre un peu de hauteur.
Il y a deux semaines j’ai suivi attentif une prestation publique de Yann Minh, talentueux comme toujours, mais au mieux nos voies sont parallèles. Depuis quelques semaines je peine à lire le pourtant intéressant Surfer la vie de Joël de Rosnay. Je le recommande aux étudiants pour son message porteur d’optimisme et d’une saine combattivité, pour les valeurs qu’il véhicule. Mais lorsque j’ai récemment eu l’occasion de le croiser et d’échanger quelques mots avec lui je suis resté atterré par son scepticisme, sa méfiance instinctive vis-à-vis de la prospective du livre.
Apparemment la révolution numérique, qu’elle soit vécue comme catastrophique ou comme bienfaitrice, ne concernerait ni le livre ni la lecture. Ah ?
Il est vrai que Joël de Rosnay est un surfeur. Il ne fait pas de plongée sous-marine. Il n’est pas océanographe. Mais sous les vagues, sous la surface des choses, s’agitent bien des possibles, se préparent bien des avenirs. Avec la déconstruction du livre ce sont les habitants de ces grands fonds marins qui vont revenir hanter nos esprits et parler par nos bouches, nous subjuguer par le truchement de nos petites machines électroniques. Les mythes vont remonter à la surface. De nos yeux. De nos bouches, oui.
« Vieil océan, aux vagues de cristal... Mes yeux se mouillent de larmes abondantes, et je n’ai pas la force de poursuivre ; car, je sens que le moment venu de revenir parmi les hommes, à l’aspect brutal ; mais... courage ! Faisons un grand effort, et accomplissons, avec le sentiment du devoir, notre destinée sur cette terre. Je te salue, vieil océan ! » (Les Chants de Maldoror - Chant I - Strophe 9, Isidore Ducasse, Comte de Lautréamont).
 
Oui il faudrait changer de lunettes, de logiciels, s’arracher peut-être même les yeux et le cerveau, se débarrasser de notre pensée, sortir de notre peau, si nous voulons vraiment comprendre ce qui nous arrive, ce qui va arriver.
 
La fin de l’ère “bibliolithique”
 
Il faut considérer la prospective du livre et de la lecture dans la perspective de la Singularité de Ray Kurzweil.
L’effort doit aussi consister dans le présent à dépasser les théories d’études du champ littéraire et les modèles explicatifs de la linguistique, en réintégrant les problématiques de la lecture dans l’épopée de l’espèce, en interrogeant les neurosciences, les éventuels processus synesthésique et cybernétique en jeu dans l’exercice de la lecture.
En cette première moitié du 21e siècle nous sortons enfin de l’ère bibliolithique, celle du livre inscrit sur la pierre, ses dérivés et ses substituts ; j’entends là tous les supports matériels d’affichage, par ailleurs plus ou moins difficilement réinscriptibles et non connectés.
Nous en sortons, et ce faisant nous entrerions dans la bibliosphère, nous accèderions enfin à un stade du livre où l’impermanence des supports de lecture dans leur singulière pluralité, et surtout la volatilité de leurs impertinences, comme des ondes radio, nous obligeront. La parole désincarcérée des reliures sera. Une nouvelle ère de l’oralité où l’écrit agira avec la versatilité des mots dits. Maudits ? Malédiction ? Mal et diction ? Par exemple, oui, peut-être, ainsi.
Beaucoup restent encore abusés par les industriels du divertissement, qui masquent les évolutions du livre et de la lecture en les réduisant à un marché de gadgets, mais ces manœuvres commerciales n’empêchent rien. Ce ne sont que de grands enfants même s’ils font de gros dégâts.
 
Le passage, par exemple, des tablettes d’argile aux rouleaux de papyrus, le passage des rouleaux de papyrus aux livres de parchemin, furent des ruptures. Ce que nous vivons apparaît plus radical encore. Et bien plus encore que du passage de la copie écrite à la reproduction imprimée.
Nous ne passons pas seulement d’un support de lecture à un autre.
Le livre est dans une phase de déconstruction.
De voyage à-rebours.
Il retourne à la page unique, à la labilité de la langue, à la mobilité des populations nomades, et peut-être plus loin encore.
 
A travers nos émotions
 
Lire, comme le reste, c’est parcourir des lignes. Ce que nous voyons nous le ramenons toujours à des lignes. Ce que nous entendons aussi. Nous avons porté les sons sur des lignes que nous avons appelées “portées”. Lorsqu’il n’y a pas de lignes, comme dans l’espace, alors nous en inventons, pour relier les étoiles en constellations, dessiner les orbites des planètes.
Notre espèce est-elle la seule à être ainsi obsédée par les lignes ?
 
Que révèlent les sens multiples des écritures, horizontal, vertical, de gauche à droite ou de droite à gauche, de haut en bas ou de bas en haut, et les quatre sens figurés dans le judaïsme et le christianisme : le sens littéral du texte, son sens allusif, celui de son interprétation parabolique, et enfin son sens caché, ésotérique ; tous ces sens différents qui pourtant convergent et à eux quatre délimitent le tracé du verger, le Paradis.
L’espèce humaine en est-elle réduite à ne pouvoir échanger que par des mots ?
Les mots sont-ils le chemin ?
Le sillon initial se perd dans les brumes du temps. Du passé, et de l’avenir aussi. La mélancolie du paysage littéraire face à son destin, c’est ici donc ce que nous contemplons, cette approche de l’inconnu dont l’ombre portée sur la page nous fait tressaillir.
« La ligne de mots palpe ton propre cœur. Elle envahit les artères, elle entre dans le cœur avec la ruée du souffle ; elle étreint le rebord mobile d’épaisses valvules ; elle tâte ce muscle obscur aussi fort que des chevaux, cherchant une chose, qu’elle ignore. » (Annie Dillard, En vivant, en écrivant, traduit de l’américain par Brice Matthieussent).
 
Pourquoi les écrans d’ordinateurs, qui dissipent nos lectures, sont-ils appelés des moniteurs ?
Les arts numériques introduisent une rupture, tout comme les nouvelles technologies d’affichage et de diffusion, ils brisent les lignes.
Électrifiée, connectée au monde à l’entour, la page expérimente plus que jamais la mise sous tension d’une étendue délimitée par les hommes, le champ cultivé, le verger, avec d’autant plus de puissance peut-être, qu’elle peut s’étendre par-delà les écrans au-delà des supports (le transmédia notamment) et s’inventer comme les cités nouvelles d’un nouveau monde (l’imaginaire de la SF est fructueux sur ce chapitre, les villes vertes et connectées, les cités intelligentes et futuristes qui commencent à sortir de terre en témoignent à voix basse, les métaphores livres/villes murmurent dans le chaos…). Et je perçois cela.
 
Peut-être la littérature pourrait-elle s’y enfouir — dans cette faille ouverte par les arts numériques, s’y enfuir pour échapper à l’enfer que nous préparent les marchands.
La puissance des grandes œuvres romanesques est je pense en ce quelle abrite de mythique.
Avec les arts numériques, la fiction pourrait peut-être s’exprimer hors du champ des jeux numériques, et initier un dialogue avec ce qui s’écrit aux lisières et dans les terrains vagues.
 

samedi 24 novembre 2012

Semaine 47/52 : Lire entre les lignes

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon sentiment personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 47/52.
 
 
Lire entre les lignes c’est lire entre les sillons.
C’est lire là où l’homme dans une société sédentarisée met encore ses pas.
Il ne trace plus la route.
C’est lire ce qui n’est pas écrit, mais qui a été semé.
L’argile façonnée de mains d’hommes, à l’image des premiers champs cultivés.
Une évidence : une tablette d’argile est une parcelle de terre travaillée par l’homme.
Les premiers scribes n’avaient pas de traces d’encre sur les mains.
Mais de la terre sous les ongles.
Les lignes découlent des sillons.
(Ou l'inverse.)
L’écriture boustrophédon.
L’homme voyage alors autrement.
Lignes. Partition des sons. Extraire les mots des cris et des gestes.
Certains commencèrent ainsi à voyager en restant immobiles, une tablette entre les mains, inertes devant une stèle dressée porteuse d’étranges inscriptions.
 
Lire ?
Suivre le sillon.
Trébucher.
Tomber sur le champ.
Un vertige.
Le préfixe “tré” nous apprendrait un dictionnaire étymologique : du bas latin “tra”, pour le latin “trans”, pour signifier : « au-delà de, par-delà ».
En lisant je trépasse.
La racine qui affleure du sillon me fait trébucher.
Je me prends les pieds dans le tissu.
 
Lire. Marcher.
Cueillir les restes de l’épopée.
Parcourir le champ qu’un autre a labouré.
Passer de la scène écrite à l’espace sonore du paysage peint.
Creuser le récit.
Mettre à jour les maux sous taire.
Longer le chemin. Prolonger le chant.
A l’origine s’ils ont fui, devant quoi ont-ils fui ?
 
D’abord ils découvrirent l’histoire en la parcourant.
Un jour ils se fixèrent et fixèrent les histoires.
Assurbanipal eut sa bibliothèque.
Au pied du mur. Au pied de la lettre.
Premières cités aux formes textuées.
Rêves d’architectures alphabétiques d’Antonio Basoli.
La roue tourne : pourquoi se sont-ils arrêtés, un jour ?
Augusto Ramelli, sa roue à livres…
 
Rien ne s’élève de cette terre retournée par les mots.
Si ce n’est une haleine chaude.
Mais à travers ses brumes, les brouillards et les pluies, entre les rayons rasant du soleil à l’aurore, sous la clarté de la lune à minuit, se dessinent des mirages, que nous prenons pour des réalités.
 
La lecture profonde, lecture des profondeurs, s’effectuerait-elle en surface du champ scriptural ?
L’expression « coureur de fond » n’est-elle pas intrigante ?
La course de fond, peut-on lire sur Wikipédia, « est une activité physique d'endurance qui requiert un bon équilibre énergétique et une forte volonté mentale. ».
Que serait la lecture de fond ?
Une lecture dynamique ? Engageante.
Le lecteur captif.
De quoi parler : lecture immersive, lecture de fond, lecture captivante, peut-être, simplement, revenir à la traditionnelle appellation de lecture intensive.
Non. Oui. Si je prends mon propre cas de lecteur j’ai de plus en plus l’impression d’avoir été, d’être encore piégé par l’abondance de nouveaux romans, sans cesse, et de plus en plus j’ai la tentation d’arrêter de lire de nouveaux livres pour juste en relire et relire, en relire, quelques-uns soigneusement sélectionnés. Relire. Ne plus lire. Marcher. Retourner.
 
Les pieds sur terre.
L’édition, dans sa manière dont elle ne fait pas face à la mort du livre.
Sa résurrection dans le lecteur.
 
Nous nous sommes arrêtés de marcher pour nous suivre pour nous rapprocher pour nous dépasser.
Le lecteur transhumain s’injectera du texte.
Puis peau et papier. Ecrans ?
Le destin de l’humanité en quelques pages.
Quelques volumes. Des cités, des citations.
Nous deviendrons tous des livres, je vous le dis.
 

dimanche 18 novembre 2012

Semaine 46/52 : Lire les yeux bandés

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon sentiment personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 46/52.
 
J’ai souvent repensé cette semaine à un intéressant petit livre paru en 2008, “Qui croire ?”, signé Nathalie Brion et Jean Brousse, deux observateurs des mouvements sociétaux. Je l’ai parcouru à nouveau tandis que sur mon agrégateur de flux RSS continuait à s’allonger l’interminable liste des études et autres approches quantitatives sur l’édition numérique, s’ajoutant les unes aux autres. A la lecture de cet essai, qui pointe tant l’obsolescence des méthodes d’analyse de l’opinion, que la non représentativité des syndicats, on peut se faire une idée de la manipulation à laquelle nous sommes soumis.
 
Un baromètre n’est pas une boussole
 
En résumé : les échantillons représentatifs n’existent pas (et peut-être encore moins qu’ailleurs dans le domaine de la lecture qui est à la fois une pratique intime et où le déclaratif doit être soumis à la suspicion).
Nathalie Brion et Jean Brousse l’énonçait, puisque apparemment il le faut : « L’homme moderne ne se détermine plus en fonction de son âge, son revenu ou sa profession. Un autre moteur l’anime : son système de valeur. Un patron au fort niveau de vie, écologiste circulant à bicyclette quand une caissière de supermarché se prive pour s’offrir un sac Vuitton, objet d’identification identitaire. » (p. 78).
Ces études, enquêtes, baromètres et autres billevesées nous font perdre le Nord. Ces données se surajoutent à l’infobésité ambiante et, à mon sens en tout cas, brouillent l’horizon plus qu’elles ne l’éclaircissent.
A qui profite le crime ?
Dans le contexte qui nous intéresse ici, de passage de l’édition imprimée à l’édition numérique, quel sens peut avoir une étude qui ne se concentre que sur les lecteurs à partir de quinze ans.
 
Je pense que nombre de ces productions d’instituts relèvent davantage de la communication que de l’information, qu’il suffit de s’informer du commanditaire et de lire entre les lignes pour que le voile se déchire. Au mieux, le signalement répété par plusieurs études de certaines tendances permettrait-il de confirmer une propension générale.
Mais il nous faut cesser d’être crédules : ces études orientées ont pour principale fonction sociale d’assurer dans la population la reproduction servile des stéréotypes sociaux sur lesquels les dominants économiques assoient leur domination. Cela est criant dans le marché du livre !
Le plus souvent l’objectif est d’orienter le marché dans le sens de leurs intérêts, notamment par le levier des médias qui répercutent les résultats de ces “études” tels quels, comme s’il s’agissait d’informations validées, phénomène regrettable déjà bien connu, mais auquel s’ajoute maintenant celui de nombreux blogueurs, et tous d’infuser cette influence pour le compte de lobbies. Un vaste enfumage !
En début d’année j’avais abordé ce sujet en dénonçant les prophéties auto-réalisatrices.
 
Dans les cours que je donne j’insiste bien auprès des étudiants sur la nécessité de prendre un recul critique par rapport à toutes ces enquêtes, à s’informer sur leurs méthodologies, à s’interroger sur la pertinence et la représentativité des panels, sur l’identité et les intérêts des commanditaires, à les comparer et à les mettre en perspectives avec les autres informations dont ils peuvent disposer.
Au-delà du fait qu’il s’agit souvent de futurs professionnels de l’édition, il s’agit avant tout de lecteurs, de lecteurs qui doivent être informés sur leurs droits.
 
Revendiquer nos droits de lecteurs
 
Les lecteurs ne connaissent pas leurs droits. Le plus souvent même je crois qu’ils ignorent totalement qu’ils en ont ! En toute bonne foi ils se laissent manipuler par les marchands du temple. De leurs cotés, les acteurs de l’interprofession du livre gardent un pudique silence. Aucun n’a intérêt à éclairer une ignorance dont ils profitent tous à un degré ou à un autre.
 
A chaque fois que j’en ai l’occasion je rappelle les droits des lecteurs. Ceux exprimés par Daniel Pennac en 1982 dans son essai Comme un roman : « - Le droit de ne pas lire – Le droit de sauter des pages – Le droit de ne pas finir un livre – Le droit de relire – Le droit de lire n’importe quoi – Le droit au bovarysme – Le droit de lire n’importe où – Le droit de grappiller – Le droit de lire à voix haute – Le droit de se taire ». Mais ils apparaissent aujourd’hui bien fleur bleue dans la guerre économique que nous traversons. Ils ne s’attaquaient qu’aux interdits moraux. C’était encore nécessaire à l’époque apparemment. Mais les choses ont changé. Déjà à plusieurs reprises dans cette chronique j’ai relayé les droits que les lecteurs doivent aujourd’hui défendre et tels qu’ils ont été désignés par Richard Stallmann.
Je constate régulièrement sur le web, non pas dans les publications, mais dans les commentaires, les forums, sur les réseaux sociaux…, le mécontentement et les stratégies de contournements que certains lecteurs conscients mettent en place face aux pratiques commerciales abusives de certains acteurs du marché du livre (imprimé ou numérique). Cela me rassure.
 
La démocratie absolue fait peur. Et, incontestablement, les lectrices, les lecteurs sont bien plus nombreux que tous les professionnels des métiers du livre.
Si la vague des lecteurs se levait elle emporterait tout sur son passage.
Le numérique, nous le voyons tous les jours, peut être habilement détourné au profit des industries du divertissement de masse. Mais les lecteurs, comme masse vivante et plurielle de millions d’individus, comme masse incontrôlable d’électrons libres, pourraient dérégler cette machination.
Avec le développement d’une “culture numérique” les choses commencent à changer, je veux exprimer l’idée que le fil de la pensée humaniste et celui des “humanités numériques” commencent à se tresser, que les enfants, les fils commencent à se reconnaître comme frères.
Les “lectorats qualifiés” (grands lecteurs, bibliothécaires, enseignants et professeurs documentalistes, étudiants…) commencent à revendiquer leurs droits, notamment par rapport à la défense du domaine public et des biens communs, tandis que des lectorats dans leur ensemble, nous pouvons voir émerger des pratiques parallèles basées sur la consommation solidaire, notamment l’échange gratuit de livres imprimés en dehors des circuits traditionnels des librairies et des bouquinistes.
 
Le cas cette semaine de la “disputation” entre l’auteur Thomas Geha et la Team Alexandriz, qui a mis en téléchargement gratuit l’une de ses œuvres, est révélateur de l’évolution des mentalités et de la redistribution des cartes.
Quand un auteur écrit cela : « Quoi qu’on en pense, Alexandriz est un acteur du livre. Illégal, certes, mais un acteur tout de même. Il est le reflet d’un certain comportement moderne dans la consommation des biens culturels, et une porte vers ce que sera aussi l’avenir. Si les artistes veulent s’adapter, cela passe forcément par essayer de comprendre les comportements des internautes. Et ainsi, peut-être, cela permettra de contribuer à modeler un avenir qui n’est pas forcément si noir pour la création. », quoi qu’on en pense c’est signe que les choses sont en train de changer, que les rapports de forces se redistribuent.
Au point où nous en sommes ce 18 novembre 2012 les choses évoluent vite, presque en temps réel, la polémique est entre les lignes, mais pour l’heure sur une page web tirée “Disclaimer” la Team Alexandriz précise que : « La loi L. 122-5 du Code de Propriété Intellectuelle admet une exception pour la copie privée, vous pouvez donc télécharger légalement les œuvres présentes ici si vous en possédez l’original. Lorsque vous achetez un livre papier, vous achetez l’œuvre et non son support, personne ne peut vous obliger à repayer l’œuvre numérique si vous possédez le livre papier (ou numérique). ».
 
Si les auteurs et les lecteurs se donnaient la main….
Mais je dois être un idéaliste !
Je me souviens qu’à la fin de la méthode Boscher avec laquelle j’appris à lire il y avait cette comptine de Paul Fort, La ronde : « Alors on pourrait faire une ronde autour du monde, si tous les gens du monde voulaient se donner la main. ». Mais déjà je sentais bien que les adultes qui me la lisait et qui avaient connu la guerre, ou simplement la dureté des milieux populaires dont je suis issu, n’y croyaient pas.
J’appris à lire ainsi les yeux bandés, la peur au ventre que le loup dévore toute crue la chèvre de monsieur Seguin parce qu’elle osait revendiquer son droit à la liberté.
 
Aujourd’hui, pratiquement seul face à une interprofession du livre qui dans sa majorité méprise mes travaux, je me lève pour revendiquer mes droits en tant que simple lecteur.
Lire les yeux bandés, oui, mais bandés comme un phallus, le regard qui transperce le bandeau.
Parce que nous ne nous donnons pas la main, personne ne me donne la main, et dans l’histoire c’est le loup qui est libre.