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vendredi 10 août 2012

La lecture immersive selon Proust, ou, « Cette impression de rêve que l’on ressent à Venise »

En 1906, aux éditions de la Société du Mercure de France, Marcel Proust publie en préface à sa traduction de l’ouvrage du critique d’art anglais John Ruskin, Sésame et les lys, un texte titré : Sur la lecture. Il y prend ses distances d’avec Ruskin et y affirme des opinions personnelles assez tranchées sur ce qu’il nommera : « l’acte psychologique original appelé Lecture ».
 
Un acte psychologique

De quoi s’agit-il ? S’agirait-il en fait, sous la plume de Proust et sous prétexte d’une préface, davantage que d’un éloge général de la lecture, de l’approche d’une certaine pratique de cette dernière, au fond, de la lecture immersive ?
Ce court texte, de quelques dizaines de pages seulement, aurait-il pu être le "pré-texte" d’un texte que Proust n’écrivit jamais ?

Comment définir la lecture immersive sans sombrer avec le chant des sirènes du siècle encore nouveau et de ses gadgets informatiques ?
Simplement, peut-être, en me référant à ce qu’Alberto Manguel, pur de tout soupçon de technophilie, écrivit dans Une histoire de la lecture (Actes Sud éd., 1998) au sujet de la lecture privée, se penchant sur la lecture au lit ; le lit, à la fois territoire privé et espace de voyage s’il en est, pensons au “radeau-lit” de Colette. Rien de vraiment défini cependant. Comment définir un sentiment intime, indéfinissable, sans prendre le risque de le voir s’évanouir ?

Si depuis l’Antiquité on peut distinguer une pratique de la lecture intensive (le lecteur lit et relit par contrainte sociale un nombre limité de livres), de celle d’une lecture extensive (le lecteur lit librement de nombreux livres nouveaux), nous ne pouvons je pense que nous interroger sur le pourquoi du silence, tant des humanistes, des lettrés, que des philologues et des historiens du livre, concernant la lecture immersive, laquelle conjugue pourtant de fait, aux plaisirs d’une lecture extensive de découverte, certains des bienfaits supposés d’une lecture intensive.
Pourquoi ? Peut-être simplement parce que ce mouvement de l’esprit est si naturel au lecteur qu’il semble inutile de s’y attarder.
Peut-être n'est-ce qu'un effet du siècle, du nôtre, de ce monde d’écrans et de flux, qui nous conduirait à considérer avec une attention particulière ce que nos semblables ont naturellement expérimentés depuis l’aube de la lecture.

Comment (re)définir ce dont il s’agit, tout en nous positionnant par rapport au texte évoqué de Proust ?
La lecture, qu’est-ce ?
L’acte psychologique de lire ? Et lire alors qu’est-ce ?
Renouer avec la marche des premiers hominidés partant à l’aventure dans un monde où tout était à nommer ?
(Ces quelques mots d’Albert Bensoussan, dans sa présentation du chef-d’œuvre de Gabriel Garcia Marquez, Cent ans de solitude : « Là, tout sera à créer et l'on vivra le déchiffrement des premiers jours du monde, car "beaucoup de choses n'avaient pas encore de nom et pour les mentionner, il fallait les montrer du doigt". Et voilà l'humaine condition installée dans l'Histoire, dans la contingence, dans le devenir et le cyclique... »)
Et l’immersion ?
Plonger dans un texte, sauter à pieds joints dans sa lecture, au point d’en oublier son environnement, ses préoccupations ; aller comme au cours d’une longue marche à pas rapides, tout entier dans son souffle, et au point, sa lecture terminée, d’avoir l’impression très nette d’avoir vu le film de ce que l’on vient de lire alors qu’il n’en est rien, voilà qui relève et signe à mon sens une lecture immersive.
Mais d’abord, qu’entendons-nous ici par lecteur, ou lectrice bien entendu ?
Un qui voudrait ne pas mourir, non pas pour rester en vie, mais pour continuer à lire.
Rien de plus illusoire en effet que la plainte mallarméenne : « La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres. ». A partir du 12e siècle, si ce n’est plus tôt, il y eut plus de livre en circulation qu’un lecteur assidu ne pouvait en lire au cours de sa vie. Et l’augmentation de l’espérance de vie n’est rien comparée aux progrès, jadis de l’imprimerie, aujourd’hui de l’informatique.
 
Le lecteur Marcel Proust et les sortilèges
 
Proust commence sa préface par cette phrase (devenue presque aussi célèbre que le fameux : « Longtemps, je me suis couché de bonne heure. ») : « Il n’y a peut-être pas de jours de notre enfance que nous ayons si pleinement vécus que ceux que nous avons cru laisser sans les vivre, ceux que nous avons passés avec un livre préféré. ».
Avec les heures de jeux, les heures de lecture sont paradoxalement celles qu’enfants nous vivions le plus intensément. Une pensée à Bachelard qui écrivit : « L'enfance est certainement plus grande que la réalité. ».

Nous abordons là, si nous suivons bien Proust, un paradoxe. Car en effet, le souvenir, aujourd’hui, de ces heures de lecture, de ces heures d’apparente absence au monde environnant, ce souvenir se trouve habité non pas, ou presque plus, ou si peu, des souvenirs des lectures concernées, mais, du contexte de ces lectures, de ce à quoi précisément ces lectures nous rendaient absent.
« Tout cela, écrit Proust, dont la lecture aurait dû nous empêcher de percevoir autre chose que l’importunité, elle en gravait au contraire en nous un souvenir tellement doux (tellement plus précieux à notre jugement actuel que ce que nous lisions alors avec tant d’amour,) que, s’il nous arrive encore aujourd’hui de feuilleter ces livres d’autrefois, ce n’est plus que comme les seuls calendriers que nous ayons gardés des jours enfouis… ».
La lecture encre la nostalgie. Peut-être en est-elle la chambre ? Peut-être en fait-elle le lit ? Si cette idée me traverse l’esprit c’est que, dans ses digressions pour séduire sa dédicataire, la Princesse Alexandre de Caraman-Chimay, l’ami Proust évoque pour cette Hélène sa chambre idéale : « Pour moi, écrit-il, je ne me sens vivre et penser que dans une chambre où tout est la création et le langage de vies profondément différentes de la mienne, d’un goût opposé au mien, où je ne retrouve rien de ma pensée consciente, où mon imagination s’exalte en se sentant plongée [immergée] au sein du non-moi… ».

Il apparaît ainsi progressivement que l’objectif de Proust dans ce texte est plutôt en vérité de mettre en garde ses lecteurs sur la lecture : « La lecture ne doit pas jouer dans la vie le rôle prépondérant que lui assigne Ruskin » !
Exception faite donc de ces « lectures de l’enfance », comme des îles qui : « laissent surtout en nous l’image des lieux et des jours où nous les avons faites… ».
Proust parle alors de sortilège, et il faut bien reconnaître que son analyse est fine : « J’ai parlé de toute autre chose que des livres parce que ce n’est pas d’eux qu’elles [les lectures d’enfance] m’ont parlé. ».
Ainsi abordons-nous cet « acte psychologique original appelé Lecture », qui pourrait donc être infidèle aux livres eux-mêmes.
Dès lors, il s’agit de suivre Proust, de s’attarder avec lui sur cette fameuse conférence de Ruskin, dite conférence des « Trésors des Rois », donnée le 06 décembre 1864 à l’Hôtel de Ville de Rusholme, dans la périphérie de Manchester, conférence incorporée au corpus de cours que Ruskin donnait alors sous le nom de Sésame et les lys.
 
Le labyrinthe de nos lectures

Pour exposer à ses lecteurs la thèse développée par Ruskin dans ces cours, Proust cite Descartes pour lequel : « La lecture de tous les bons livres est comme une conversation avec les plus honnêtes gens des siècles passés qui en ont été les auteurs. ».
L’esprit général du propos est donc que, si l’on ne choisit pas sa famille, l’on peut choisir ses amis et, plus particulièrement encore : ses lectures.
Courir le monde, fréquenter la et les sociétés, serait ainsi perdre son temps, car, pour Ruskin précise Proust : « la lecture est exactement une conversation avec des hommes beaucoup plus sages et plus intéressants que ceux que nous pouvons avoir l’occasion de connaître autour de nous. ». (Les crapules n’écrivent-elles donc pas ? J’en doute !)

Préfacier critique, Proust a cependant prétention à aller plus loin que son prédécesseur, « à aller au cœur même de l’idée de lecture ». Lecteur exigeant, il déclare franchement que dès son enfance ce n’étaient pas tant les histoires, les personnages et leurs intrigues qui le motivaient dans ses lectures, mais, véritablement une recherche d’ordre esthétique, déjà ; la beauté opérante de telle phrase bien précise, et qui seule l’entraînait dans ce vaste mouvement de la lecture qui n’était plus alors toute entière que la recherche effrénée et souvent déçue, que le désir de “la belle phrase” retrouvée, plus loin, ailleurs, sur d’autres pages, à la fois autre et identique à elle-même par ce mouvement de lecture qu’elle nourrissait.
Illusion d’un petit Marcel posant pour la postérité en enfant modèle ? Peut-être pas. La lecture, dans sa perspective immersive, est bien de l’ordre du désir, du rapport entre satisfactions et frustrations, et ces désirs engendrés par de belles phrases incitatives sont comme les promesses informulées des jeunes filles en fleurs.

Là où en écho à nombre d’arts du roman, d’Édith Wharton ou de Milan Kundera, du Lector in fabula d’Umberto Eco (sous-titré : Le rôle du lecteur, et qui analyse la coopération interprétative du lecteur), Proust, précurseur, fait déjà un pas de plus, affirmant lui que : « notre sagesse [de lecteur] commence où celle de l’auteur finit. ».
Il introduit presque une dimension initiatique, en ce sens qu’il pourrait faire de la lecture un enseignement spirituel. Mais non. Il l’écrit d’ailleurs un peu plus loin dans cette fameuse préface : « La lecture est au seuil de la vie spirituelle : elle ne peut nous y introduire : elle ne la constitue pas. ».
La réalité de ce qu’il lit se dérobe sans cesse au lecteur, et c’est ce mouvement, comme la cape d’un matador de toros, qui fait le lecteur avancer et se prendre aux leurres spectaculaires de ses lectures et de leurs labyrinthes.
Ce n’est certainement qu’en auteur fécond d’autofictions que Proust peut se permettre d’adopter cette position critique vis-à-vis de la lecture ; la position hautaine d’un qui pratiquerait l’art exigeant des lectures disciplinées dont la mission seraient de stimuler la vie de l’esprit. 
 
« Cette impression de rêve que l’on ressent à Venise »

« Tant que la lecture est pour nous, écrit Proust, l’incitatrice dont les clefs magiques nous ouvrent au fond de nous-mêmes la porte des demeures où nous n’aurions pas su pénétrer [son rôle initiatique], son rôle dans notre vie est salutaire. Il devient dangereux au contraire quand, au lieu de nous éveiller à la vie personnelle de l’esprit, la lecture tend à se substituer à elle… ».
Le danger pointé ici par Proust serait bien que lecteur prenne les mots qu’il lit, les mots d’un autre, pour ses propres idées, à lui animal-lecteur, qu’il vive par procuration en quelque sorte la vie personnelle de son esprit, qu’il recherche la vérité, non pas en lui-même, mais, dans les bibliothèques, dans les livres, dans ses lectures, ce genre de vérités qui portent le pluriel et qui, Proust le souligne judicieusement avec une pointe d’aimable impertinence, sont : ces vérités que l’on peut prendre en notes pour qu’elles ne puissent nous échapper. Lecteurs et lettrés sont dans un bateau et cetera…
 
Alors que les siècles nous malmènent, rappelons-nous à chaque page que nous lisons, que pour nous autres lecteurs s’ouvre le vaste domaine de la pensée et de l’action, et que plonger dans la lecture peut être plonger dans le sens profond, universel si ce n’est éternel, de la vie, de la vie de l’esprit, sans limites d’aucune sorte, sans limites de temps, sans limites d’espaces, sans limites physiques.
Oui, « que de fois, conclut Proust, dans la Divine Comédie, dans Shakespeare, j’ai eu cette impression d’avoir devant moi, inséré dans l’heure présente, un peu du passé, cette impression de rêve qu’on ressent à Venise… ».

mardi 16 novembre 2021

Une machine pour voyager dans le temps ?

Une machine pour voyager dans le temps ?
Ne serait-il pas temps de nous débarrasser de notre ethnocentrisme et des réflexes racistes que nous pourrions encore avoir concernant la nationalité et la vêture des chamans ? 
 
Concrètement, un chaman est un humain qui peut voyager en esprit dans plusieurs strates spatio-temporelles du monde physique tel qu'il apparaît illusoirement de prime abord à celles et ceux qui ne sont pas chamans. 
 
Objectivement, même si son folklore est bien différent de nos idées reçues, pour quiconque l'a véritablement lu, Marcel Proust peut donc être considéré comme un véritable chaman. 
 
Pour ma part, lecteur attentif de Proust j'avais en 2008 participé à l'aventure du Baiser de la Matrice de Véronique Aubouy au Théâtre Paris Villette via mon avatar en duplex depuis La Bibliothèque Francophone de Second Life dans le métavers.
En février 2011 j'étais revenu sur cette expérience à la Maison des Métallos (établissement culturel de la Ville de Paris). 
En aout 2012 j'avais cherché une première fois à formuler mon expérience personnelle de la lecture de Proust dans le texte : La lecture immersive selon Proust, ou "Cette impression de rêve que l'on ressent à Venise"
Enfin, en 2018, j'ai pour la première fois exposé dans le cadre d'une séance du séminaire Ethiques et Mythes de la Création de l'Institut Charles Cros, sur le thème : Écritures secrètes et lectures littéraires du chamanisme, ma vision, subjective mais très sérieusement argumentée et étayée de citations fidèles issues des sept tomes de La Recherche, à savoir : Marcel Proust était un chaman
Le texte de cette communication de 2018 est toujours accessible ici : Marcel Proust, du chaman au fictionaute. Cette année, la revue Viabooks dans le cadre du 150e anniversaire de la naissance de Marcel Proust, s'en est fait l'écho sous le titre : Et si le rêve chez Marcel Proust relevait d'une fonction chamanique ?  
 
Depuis 2018 j'ai moi-même progressé dans ma découverte de ces territoires, proustiens et autres, et aujourd'hui, à la lumière du temps passé et de l'avancée de mes recherches sur le sentiment de "traversée du miroir" des lectrices et des lecteurs de fictions littéraires, je suis en mesure d'aller plus loin avec vous et de vous montrer le chemin pour vivre votre lecture de Proust comme une authentique relation chamanique. 
 
Si l'expérience vous tente n'hésitez pas à me contacter pour organiser une conférence d'un commun accord en fonction de votre structure et de votre auditoire...

mercredi 29 septembre 2021

Conférence Lire Proust Autrement

La lecture de Proust comme voie chamanique...
Lecteur de Proust j'avais en 2008 participé à l'aventure du Baiser de la Matrice de Véronique Aubouy au Théâtre Paris Villette via mon avatar en duplex depuis La Bibliothèque Francophone de Second Life dans le métavers.
En février 2011 j'étais revenu sur cette expérience à la Maison des Métallos (établissement culturel de la Ville de Paris).
Enfin, en 2018, j'ai pour la première fois exposé dans le cadre d'une séance du séminaire Ethiques et Mythes de la Création de l'Institut Charles Cros, sur le thème : Écritures secrètes et lectures littéraires du chamanisme, ma vision subjective, mais sérieusement argumentée et étayée de citations fidèles issues des sept tomes de La Recherche : Marcel Proust était un chaman
Le texte de cette communication de 2018 est toujours accessible ici : Marcel Proust, du chaman au fictionaute. Cette année, la revue Viabooks dans le cadre du 150e anniversaire de la naissance de Marcel Proust, s'en est fait l'écho sous le titre : Et si le rêve chez Marcel Proust relevait d'une fonction chamanique ?  
 
Aujourd'hui, à la lumière du temps passé et de l'avancée de mes recherches sur le sentiment de "traversée du miroir" des lectrices et des lecteurs de fictions littéraires, je suis en mesure d'aller plus loin qu'en 2018 et de vous montrer le chemin pour vivre votre lecture de Proust comme une relation chamanique. 
Cela vous tente ? Contactez-moi pour organiser cette conférence d'un commun accord en fonction de votre structure et de votre auditoire...

vendredi 18 novembre 2022

Au-delà Proust au-delà...

Nous sommes le 18 novembre 2022. Marcel Proust est mort le 18 novembre 1922. Autant dire hier. Cent ans qu'est-ce d'autre, en effet, que deux fois cinquante ans, ou même seulement quatre fois vingt-cinq ans ? C'est peu. Lui et nous aurions presque pu être contemporains.

Pourtant, en apparence, le monde et notre rapport à lui, ont tellement changé ! A quelle vitesse changeons-nous ? Le monde extérieur change, mais intérieurement (psychiquement, mentalement, moralement, spirituellement...) changeons-nous ?
 

Toute cette année 2022 aura été traversée par un flux continu prousto-centré. Avec du bon et du moins bon, du commercial. Mais toujours replié sur le passé, l'oeuvre gravée au panthéon de la littérature, ou sinon parfois avec une malsaine curiosité sur l'intimité de l'individu ayant porté le nom de. Mais qu'est-ce que porter un nom, et au-delà l'état civil quel est, pour chacune et chacun de nous, notre nom véritable ?
 

Pour ma part, si je me suis refusé à devenir proustien, je l'ai cependant lu et relu attentivement et, en écho à ma propre recherche sur la lecture immersive, le sentiment de traversée du miroir chez les lectrices et les lecteurs de romans, j'y ai trouvé tout au long de nombreuses, pertinentes et perspicaces observations sur l'objet de MA recherche.
L'au-delà de Proust, l'expérience de la lecture au-delà la lecture de Proust est pour moi un miroir dans lequel souvent je porte un regard critique sur mes réflexions. (Mais qu'est-ce que porter un regard sur soi ?)

Au fil des ans j'en ai sommairement formulé quelques aspects sur ce blog, mais je suis toujours à votre disposition pour des conférences ou autres interventions pour essayer ensemble d'aller par Proust... au-delà de Proust.

mercredi 17 avril 2019

Regardeur Lecteur face au fameux petit mur jaune


Mon rapport au Grand Œuvre* de Marcel Proust n'est ni celui d'un universitaire ni celui d'un proustien. 
Deux de mes textes précédents en témoignent : Marcel Proust du chaman au fictionaute (dans le cadre du séminaire Ethiques et Mythes de la Création de l'Institut Charles Cros), et, La crainte de devenir proustien (publié chez Mondes Francophones).
Concernant le fameux petit mur jaune (en fait une toiture) dans le tableau Vue de Delft du peintre néerlandais Johannes Vermeer, et qui suscita un tel émoi chez Proust, chez son personnage de Bergotte, puis chez des générations de lectrices et de lecteurs, mon interprétation personnelle est la suivante :
 
- Dans son face à face avec le tableau et sa ressemblance avec la réalité du monde le regardeur se trouve exposé à un double mouvement concomitant : à la fois celui de la plongée de son regard vers l'entrée de la ville et le fond du tableau, la ligne d'horizon, et, celui suggéré par lequel des nuages avancent vers lui, viennent à lui. Dès lors il suffit que son oeil s'accroche à ce petit pan jaune pour, de fait, ne plus voir d'emblée que lui.

Ce petit bout de toiture jaune est comme une poignée de porte à laquelle on se raccroche, à la fois pour éviter de perdre l'équilibre et, en même temps, pour se retenir d'ouvrir la porte. Un facteur (un vecteur) métaleptique (?).
Dans le texte de Proust, le tableau imaginé dans son entier, le tableau lu, jouerait-il comme ce petit espace jaune joue, lui, sur le tableau réel, le tableau vu ?
 
* Terme généralement employé dans le contexte de l'alchimie.

mercredi 7 mars 2018

Une lecture sur les traces du chamanisme chez Marcel Proust

En avril j'aurai le plaisir dans le cadre du séminaire Ethiques et Mythes de la Création auquel je suis rattaché auprès de l'Institut Charles Cros, de présenter mes réflexions sur le thème : « À la recherche du temps perdu, pour une lecture chamanique de Marcel Proust » dans le prolongement de mes recherches sur l'espace intérieur des lectrices et des lecteurs de fictions littéraires. 
  
Cette séance du 04 avril 2018 explorera les « Écritures secrètes et lectures littéraires du chamanisme ». 
J'y interviendrai en compagnie de Sylvie DALLET, professeur des universités (CHCSC, IECI, université Marne la Vallée Paris-Est, UPEM art et histoire culturelle), et présidente de l'Institut Charles Cros : (introduction du séminaire 2018 et communication « Résurgences littéraires et mutations  du chamanisme »), et Olga KATAEVA, peintre et docteure en cinéma et études audiovisuelles (« La série des dessins de Serguei Eisenstein L’âme sortant du corps (1939) »). 
  
Ma communication proposera, à partir d'une lecture attentive de l’œuvre de Marcel Proust, d’étayer le postulat suivant formulé dans l'esprit de l'oeuvre de W. G. Sebald : « Il n’y a pas lieu d’opposer ce qu’un cerveau a inventé à ce qui a réellement existé. Car le monde dont nous expérimentons quotidiennement la réalité n’est pas lui-même autre chose que le recouvrement du monde naturel par celui que le cerveau humain a produit… » (Jacques Rancière dans son récent essai Les bords de la fiction (2017), faisant référence à l'écrivaine américaine Lynne Sharon Schwartz dans son ouvrage L'archéologue de la mémoire - Conversations avec W. G. Sebald, 2009). 
La lecture chamanistique de Proust que je proposerai nous permettra d’approcher des passages entre les mondes fictionnels des textes littéraires, et, le monde-monde naturel.

Informations pratiques
Le mercredi 04 avril 2018, 14H00-18H00, entrée libre sur inscription par mail à sylvie.dallet@uvsq.fr - Espace Harmattan, 24 rue des Ecoles 75006 Paris.

vendredi 9 avril 2021

Un autre regard sur Proust !

En marge de l'actualité autour de Marcel Proust le magazine en ligne ViaBooks se fait l'écho d'une de mes conférences passées à l'Institut Charles Cros dans le cadre du séminaire EMC - Ethiques et Mythes de la Création.
Porter un autre regard sur Proust, le lire attentivement, trace de nouvelles perspectives, ouvre de nouveaux horizons à nos réflexions sur la lecture immersive et le rapport entre réalité et fiction. Je peux venir vous en parler si vous le voulez...

 Proust et Lorenzo Soccavo sur ViaBooks

 


G
M
T
Fonction Sound est limitée à 200 caractères

jeudi 18 novembre 2021

Proust et la jeune Alice...

Qu'est-ce que lire ? C'est voir quelque chose qui fait voir autre chose. 
 
Entre ce "quelque chose" lu, et, cet "autre chose" vu mentalement, il y a donc une certaine distance, et, dans un premier temps, nous pourrions donc émettre l'hypothèse suivante que ce serait cette distance virtuelle qui serait celle mentalement parcourue par la lectrice ou le lecteur de fictions littéraires lorsqu'ils se retrouvent "immergés" dans le monde de ce qu'ils sont en train de lire, dans la posture de lecteur telle que l'évoque à plusieurs endroits de sa Recherche Marcel Proust, par exemple lorsqu'il se remémore dans Du côté de chez Swann : "l’espèce d’écran diapré d’états différents que, tandis que je lisais, déployait simultanément ma conscience", ou bien encore quand il parle de "cristal successif ". 
N'aurions-nous pas là en effet, chez Proust, des mots cherchant à exprimer ce qui serait de l'ordre d'une traversée du miroir lors d'une lecture immersive ?

Je propose donc une approche rationnelle, s'appliquant dans un premier temps à rapprocher différents extraits de fictions littéraires de cette définition : "Lire c'est voir quelque chose qui fait voir autre chose". 

L'idée sous-jacente est d'imaginer d'éventuelles relations entre l'expérience d'un corps physique traversant un obstacle matériel et la possibilité de métaphores pour nous aider à concevoir le voyage immobile que font les lectrices et les lecteurs.

Nous pouvons penser évidemment à la nouvelle fantastique de Marcel Aymé, Le Passe-muraille, l'histoire de Monsieur Dutilleul, un petit employé qui découvre incidemment qu'il peut passer à travers les murs. Mais aussi à la jeune Alice de Lewis Carroll autour de laquelle se sont cristallisées plusieurs facettes de mes recherches sur les métalepses.

En fait, je postule que la muraille invisible que nous traverserions lorsque nous lisons un roman serait précisément le langage. Ce serait ce langage qui dans la vie quotidienne médiatise notre expérience immédiate du monde et vient faire écran et qui là, dans le processus de lecture d'une fiction littéraire, jouerait comme une sorte de miroir magique. 
 
Si poursuivre ces réflexions sur la lecture immersive vous intéresse je vous propose une rencontre pour une conférence-débat richement illustrée, et, vous le verrez, très documentée et rigoureusement argumentée. Qu'en pensez-vous ?

lundi 18 mai 2020

Voyager dans les Livres

Lorenzo_Soccavo_Mai-2020
A l'occasion du séminaire-marathon du 1er mai organisé dans le cadre des Rencontres Scénographies et Technologies S&T#3 par Franck Ancel, j'ai pour la première fois abordé en public les conditions de la découverte de mon fictionaute et présenté un modèle d'expérience de pensée potentiellement reproductible par d'autres lecteurs et lectrices.
Je dispose de plusieurs autres modèles d'expériences de ce type et je suis à l'écoute de toutes structures pour venir les présenter et les tester en groupe.
 
Voici en attendant ci-dessous une version abrégée de ma présentation du 1er mai au séminaire S&T#3.
 
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Lecture littéraire et expérience en pensée


La proposition est la suivante :

– Les fictions littéraires jouent en nous comme des espaces mémoriels, lesquels espaces mémoriels peuvent devenir des laboratoires de nos vies.

– L'espace imaginaire et l'imagerie mentale de nos lectures nous confrontent à d'autres facettes de "la réalité".

– Conscientiser puis autonomiser son fictionaute, la part subjective de soi que lectrices et lecteurs projettent spontanément dans ces espaces imaginaires, ouvrirait la voie à un art de la mémoire confinant à la métaphysique et nous rapprocherait affectivement des formes d'intelligences artificielles que sont les personnages de fictions littéraires.

Qu’est-ce que j’entends par lecture littéraire ?

Simplement la lecture de textes littéraires, c’est-à-dire de textes répondant à l’évocation qu’en faisait Marcel Proust dans Jean Santeuil dans lequel il approchait assez clairement la qualité première de la relation singulière de ce que j’appellerais les liens de connivence entre le Monde-monde et les mondes littéraires : « ce qu'il y a de réel, écrit Proust, dans la littérature, c'est le résultat d'un travail tout spirituel, quelque matérielle que puisse en être l'occasion [...] une sorte de découverte dans l'ordre spirituel ou sentimental que l'esprit fait, de sorte que la valeur de la littérature n'est nullement dans la matière déroulée devant l'écrivain, mais dans la nature du travail que son esprit opère sur elle. » (Quarto Gallimard, 2001, p.335).

Le texte littéraire serait le produit d’un travail de notre esprit sur le réel. Ce travail serait une sorte d’alchimie, de transmutation des éléments bruts du quotidien sous l’effet d’un révélateur spirituel ou sentimental (ces termes sont ceux employés par Proust) qui en ferait, c’est la lecture que moi j’en fais, ressortir deux dimensions essentielles cachées : l’esthétique (liée au sentiment du beau), et l’éthique (liée à la perception morale du bien).

La lecture littéraire est ainsi à entendre dans mes propositions comme la lecture d‘un texte qui serait le fruit d’un travail spirituel dans une double dimension esthétique et éthique.

Qu’est-ce que j’entends par expérience de pensée ?

Une expérience de pensée, plus précisément une expérience en pensée, est la conduite d’une expérimentation par la puissance de l’imagination, soit parce qu’il ne serait pas possible de réaliser concrètement l’expérience dans le monde physique, soit parce que l’expérimentation vise une observation ou un changement d’état intérieur, soit enfin que l’objet de l’expérimentation est au niveau de l’exploration d’un monde non physique.

Qu’est-ce que j’entends par Intelligence Fictionnelle ?

Enfin, dire que : « Les fictions littéraires jouent en nous comme des espaces mémoriels », c’est avancer l’idée des fictions comme lieux de mémoire, comme si ce qui s’y jouait pouvait faire écho, entrer en résonance ou bien se trouver en ressemblance avec la propre histoire de la construction de l’identité personnelle des lectrices et des lecteurs.

Sur ce lien entre espace fictionnel et art de la mémoire il faudrait évidemment développer. Par exemple à partir du roman L'Invention de Morel de l'écrivain argentin Adolfo Bioy Casares (1940) [il s’agirait alors d’IA faibles] et de L'Année dernière à Marienbad, tant le film d’Alain Resnais (1961) que le scénario d'Alain Robbe-Grillet [il s’agirait alors d’IA fortes]. Nous pourrions alors nous demander si nous pourrions parler d’IF, d’Intelligence Fictionnelle ? Pourrait-on parler d’intelligences fictionnelles au sujet des personnages de fictions littéraires ?

Le livre laboratoire de pensée

Le livre qui a été pour moi le laboratoire de pensée dans lequel j'ai pu découvrir mon propre fictionaute est La Montagne magique de Thomas Mann, relu une quinzaine de fois dans sa traduction originelle par Maurice Betz. La traduction de 2016 par Claire de Oliveira pour les éditions Fayard a marqué un coup d'arrêt. Cet accident de parcours m'a permis de réfléchir sur ce que les différences de traduction d'un même texte peuvent avoir comme effets sur l'imagerie mentale d'un lecteur et sur sa réception subjective d’un texte.

En résumé La montagne magique relate le séjour dans un sanatorium de montagne d'un jeune homme délicat nommé Hans Castorp, lequel à l'été 1907 vient rendre une simple visite de courtoisie de trois semaines à son cousin malade, mais qui finalement ensorcelé par les effets conjugués de l'altitude et de l'emploi du temps millimétré des journées restera en fait sept ans, jusqu'à ce que l'éclatement de la Première Guerre mondiale l'arrache à cet enchantement pour le confronter à la cruauté du monde.

L’expérience

Pour notre expérience je propose l’analyse d’une courte scène du début du roman, celle de l'arrivée de Hans, en partant du principe que si je pouvais vraiment me projeter dans le monde de ce livre je voudrais absolument pouvoir assister personnellement à son arrivée au sanatorium.

D’abord le texte de cette scène dans sa traduction par Maurice Betz, puis ensuite le même passage dans sa traduction par Claire de Oliveira, et enfin toujours la même scène mais telle qu’elle est vécue par mon fictionaute projeté et immergé dans l'action.

L’idée sous-jacente est que je serais arrivé au sanatorium la veille de Hans Castorp et que j’aurais donc pris une journée d’avance sur l’horloge interne de la narration.

Le je qui s’exprime alors dans cet extrait est mon propre je, c’est moi, Lorenzo Soccavo qui suis arrivé la veille au sanatorium du Berghof en l’an 1907. Le narrateur devient ici une projection du lecteur : c’est mon fictionaute qui parle.

Pour des voyages littéraires de ce type nous pourrions peut-être parler d’autofictions métaleptiques. Une métalepse étant une sorte de glissement ou de trébuchement, comme un lapsus, qui nous transporterait au-delà d’une limite, comme l’indique le préfixe méta.

Nous devrions aussi en imaginer les différentes conséquences possibles à la manière de Borges : les exemplaires imprimés de La montagne magique seraient-ils modifiés par l’intrusion d’un lecteur dans le contexte de l’histoire, etc.

Au-delà cette expérience où l’autonomie est conférée au fictionaute, nous pourrions concevoir des expériences de pensées dans lesquelles ce serait les personnages de la fiction qui acquerraient une certaine autonomie.

Ce point nous amène à revenir pour conclure sur la question de l’intelligence artificielle. Les personnages de fictions littéraires concentrent sur eux une masse de données qui leur donnent consistance et crédibilité et leur confère une certaine densité vibratoire sur la psyché des lecteurs, là où le monde possible de la fiction se refléterait pour faire lieu.

Nous pourrions à partir du postulat suivant :

- les personnages de fictions littéraires sont généralement des créatures anthropomorphes qui ne vivent pas vraiment sur Terre, en conséquence de quoi nous pouvons les considérer comme des extraterrestres avec lesquels nous pourrions potentiellement entrer en contact,

penser qu’à moyen terme une technologie d'intelligence artificielle favorisant le développement de créatures bio-digitales pourra faire des personnages de romans des vivants presque comme nous.

vendredi 6 avril 2018

Marcel Proust - du chaman au fictionaute

Ma communication sur Marcel Proust, du chaman au fictionaute à l'occasion de la séance du séminaire EMC (Ethiques et Mythes de la Création) de l'Institut Charles Cros du 4 avril 2018 à Paris, sur le thème "Écritures secrètes et lectures littéraires du chamanisme" est en ligne dans son intégralité :


mercredi 3 février 2021

Sur l'immersion fictionnelle | Mr. Dutilleul et la jeune Alice

Qu'est-ce que lire ? Lire c'est voir quelque chose qui fait voir autre chose.
Entre ce "quelque chose", et, cet "autre chose", il y a donc une certaine distance et dans un premier temps nous pourrions émettre l'hypothèse suivante :
- ce serait cette distance virtuelle qui serait mentalement parcourue par la lectrice ou le lecteur de fictions littéraires pour qu'ils se retrouvent "immergés" dans le monde de ce qu'ils sont en train de lire, dans la posture de lecteur telle que l'évoque à plusieurs endroits de sa Recherche Marcel Proust, par exemple lorsqu'il se remémore dans Du côté de chez Swann : "l’espèce d’écran diapré d’états différents que, tandis que je lisais, déployait simultanément ma conscience", ou bien encore quand il parle de "cristal successif ". N'aurions-nous pas là chez Proust des mots cherchant à exprimer ce qui serait de l'ordre d'une traversée du miroir ?  

Je propose donc une approche rationnelle s'appliquant dans un premier temps à rapprocher des extraits de fictions littéraires de la définition "Lire c'est voir quelque chose qui fait voir autre chose", dans le but d'envisager la relation de l'expérience d'un corps physique qui traverse un obstacle matériel comme une possible métaphore du voyage immobile que font les lectrices et les lecteurs.

Nous pouvons penser évidemment à la nouvelle fantastique de Marcel Aymé, Le Passe-muraille, l'histoire de Monsieur Dutilleul, un petit employé qui découvre incidemment qu'il peut passer à travers les murs, mais c'est à partir d'une fresque de street-art de la jeune Alice de Lewis Carroll que se sont cristallisées plusieurs facettes de mes recherches sur les métalepses. Alice ici semble apparaitre à la surface du mur comme si elle venait de le traverser.

Je postule que cette muraille que nous traverserions lorsque nous lisons un roman serait le langage, ce langage qui dans la vie quotidienne médiatise notre expérience immédiate du monde et vient faire écran et qui là, dans le processus de lecture d'une fiction littéraire, jouerait comme une sorte de miroir magique.
Je vous propose de se rencontrer autour de ce postulat pour une conférence-débat* richement illustrée et, vous le verrez, très documentée et rigoureusement argumentée.
Qu'en pensez-vous ?

N.B. Illustrations | Photos D.R. Céline Mounier, janvier 2021 Paris 13e, graffeur Azel.
A lire de Céline Mounier sur le site des Arts Foreztiers : Aimer les furtives...

* En présentiel ou en visioconférence, vous pouvez également télécharger librement le PDF du Catalogue 2021 de mes conférences et formations.

jeudi 12 avril 2018

Les fictions vues comme des iles

Résumé de ma contribution à la conférence internationale en sciences humaines et sociales Mythanalyse de l'insularité, des 21 et 22 mai 2018 (organisateurs et informations) : Les fictions littéraires considérées comme des îles... 
  
" Cette réflexion prend la forme d'éclats, une succession de courts paragraphes à considérer comme autant d’îlots formant un archipel et donc ayant, au-delà des apparences, une certaine unité, laquelle unité pouvant être annonciatrice d'un isthme, une langue de terre qui s'avancerait dans l'océan du langage comme la presqu’île d'un vaste continent inexploré qui serait celui de la fiction littéraire.

Des kabbalistes considèrent le monde comme étant un phénomène linguistique. Marcel Proust lui-même n'est-il pas chaman lorsqu'il écrit dans Le temps retrouvé, ultime étape de son intime galaxie A la recherche du temps perdu : « Ce que nous appelons la réalité est un certain rapport entre ces sensations et ces souvenirs qui nous entourent simultanément », avouant avoir créé son œuvre : « comme un monde, sans laisser de côté ces mystères qui n’ont probablement leur explication que dans d’autres mondes et dont le pressentiment est ce qui nous émeut le plus dans la vie et dans l’art. » ?

Lectrices et lecteurs sont par nature des insulaires, mais ce sont aussi des navigateurs, pris par le texte, tantôt poussés au large, tantôt rejetés vers le rivage.
(L'imaginaire des îles s'harmonise bien, me semble-t-il, à ce mouvement qui se saisit du lecteur de fictions ballotté entre le monde du texte qu'il lit, et, le contexte du monde dans lequel il lit, comme entre le monde et la langue maternelle qui structure le monde, et s'éclairerait des explorations psychanalytiques de Marie Bonaparte sur Edgar Allan Poe – je pense notamment à l'île aux abîmes et aux "gouffres alphabétiques" –, et des travaux de Bachelard sur L'eau et les rêves.)

Ce balancement exprime subtilement le débat qui se croit contemporain sur l'attention et la distraction. En 1905 Proust l'aborde dans un texte qui n'était qu'une préface et est connu sous le titre Sur la lecture dont l'incipit a traversé le temps : « Il n’y a peut-être pas de jours de notre enfance que nous ayons si pleinement vécus que ceux que nous avons cru laisser sans les vivre, ceux que nous avons passés avec un livre préféré. ».

Aux fondements de la lecture littéraire niche une ambiguïté entre le contexte et le texte. Le lecteur est dans cet entre-deux, comme entre deux îles, il lit entre texte et contexte et se retrouve ainsi dans un inter-dit et ce que j'appellerais un outre-autre : un au-delà qui est autre, cet inconnu vers lequel il est attiré comme un navigateur l'est par des îles.

Considérer les îles comme des textes et le langage comme un océan, considérer lectrices et lecteurs comme des insulaires navigateurs n'est-ce pas approcher une vérité de l'être qui serait lettre, créature anthropoglyphe : une lettre qui aurait une forme animale humaine ? Qu'écriraient alors nos navigations ?

Passer de la figure du fictionaute, que je définis comme la densification de la part de soi qu'un lecteur de fictions littéraires projette dans ce qu'il lit, à celle du navigateur, c'est passer d'Ulysse navigateur à Ulysse voyageur interstellaire. En 1981 une série télévisée d'animation franco-japonaise avec Ulysse 31 au… 31e siècle, proposait cette lecture.

Pour les îles les frontières sont ailleurs, dans les eaux territoriales, aux confins des réalités et de l'imaginaire. Dans une perspective mythanalytique les îles et les voyages d'une île à une autre dessinent une graphie qui pourrait être la transcription d'une méthode de lecture en écho à la double métaphore bien connue du monde comme livre et du livre comme monde, qui deviendrait ainsi l'île comme livre et le livre comme île.
Nos références bibliographiques sont ici l'Odyssée d'Homère, Mardi de Herman Melville, Les aventures d'Arthur Gordon Pym d'Edgar Allan Poe, Flatland de Edwin A. Abbott, La Tempête de Shakespeare.
Chaque île, comme chaque livre, offre une lecture de soi et est remise en question de son identité narrative. "