Le récent Consumer Electronic Show de Las Vegas ce sera finalement révélé décevant en ce qui concerne le marché émergent des nouveaux dispositifs de lecture. (Il fallait s’y attendre et personnellement je m’y attendais.)
Certes, l’offre d’e-readers est de plus en plus étendue (l’eBook Reader Matrix en donne un bon aperçu), mais elle aligne depuis quelques années déjà, la même pauvreté d’appareils encore décevants, tant pour les lecteurs amoureux de livres papier, que pour les lecteurs technophiles, avec des designs et des interfaces utilisateurs entretenant la frustration (sentiment de frustration qui contribuera par ailleurs à motiver l’achat des versions ultérieures…).
Olivier Ezratty, conseil en stratégies de l’innovation, qui depuis 2006 nous délivre tous les ans un très complet “Rapport de visite du CES“ (à paraître prochainement celui de 2010), constate avec pertinence pour cette année dans ses “Premières impressions du CES” : « Une pléthore d’ebooks, tous ou presque basés sur la même technologie d’écrans e-ink, mais avec une interface utilisateur encore décevante. Avec un marché certes en forte croissance, poussé par Amazon et son Kindle, mais qui se contente d’une certaine forme de médiocrité en attendant d’être secoué par l’arrivée de la tablette d’Apple qui fera probablement aux ebooks ce qu’il a fait aux smartphones : redéfinir la norme de qualité attendue par les consommateurs. » [Source].
Ces fameuses tablettes tactiles et multimédias, d’Apple ou d’autres, et qui concurrenceront de plein fouet les readers e-paper, pourraient en effet séduire le grand public et emporter le gros du marché des livres et de la presse numériques.
Il faut cependant relever que les nouveaux dispositifs de lecture évolueraient alors ainsi vers du high-tech, alors que la lecture, en tant qu’activité de déchiffrage, de réflexion et de maturation, demanderait du low-tech pour pouvoir s’exprimer à son rythme (en tous cas une meilleure prise en charge des spécificités des i2L, interfaces Lecteurs/Livres).
Quels décodages du monde, quels décryptages les écrans rendent-ils possibles ? Et/ou induisent-ils ? Quelles lecture ? Et par rapport au papier ? Quid d’une “hyper-lecture” multimédia zappée et surfée sur ces tablettes tactiles ? Même si le logo était une petite pomme, des questions se posent.
Quels décodages du monde, quels décryptages les écrans rendent-ils possibles ? Et/ou induisent-ils ? Quelles lecture ? Et par rapport au papier ? Quid d’une “hyper-lecture” multimédia zappée et surfée sur ces tablettes tactiles ? Même si le logo était une petite pomme, des questions se posent.
C’est quoi un lecteur ?
Un lecteur est une personne qui lit. Lire, c’est : « Reconnaître les signes graphiques d'une langue, former mentalement ou à voix haute les sons que ces signes ou leurs combinaisons représentent et leur associer un sens. » (Larousse). Cette reconnaissance et ce déchiffrement, sont forcément liés à un apprentissage spécifique, à une culture, avec son histoire, son patrimoine et sa langue, et ce “faire sens” est au centre de l’activité de lecture.
Il est évident que les exposants du Consumer Electronic Show de Las Vegas ont d’autres préoccupations. Logique. Cela dit, les machines à lire qu’ils mettent sur le marché vont inévitablement influer et orienter l’évolution des pratiques de lecture dans les décennies à venir. (Appeler “liseuses” de tels appareils aura contribué en France à alimenter la confusion.)
Nonobstant, force est d’observer qu’il n’y a ces derniers mois pratiquement pas une semaine sans que le Web se fasse l’écho du buzz du lancement d’un nouveau reader. Le marché des nouveaux dispositifs de lecture va probablement suivre une courbe d’évolution similaire à celle des téléphones portables : un besoin défini depuis un certain temps et qui murit, une technologie qui évolue, l’arrivée progressive puis exponentielle sur le marché d’une gamme d’appareils et de services conçus pour devenir obsolètes en quelques mois. Et comme nous avons tous aujourd’hui un téléphone mobile, nous aurons tous demain un appareil à lire, avec ses formules d’abonnements et sa lecture en modes audio et streaming (c’est-à-dire en diffusion en mode continu, sans téléchargement). Et peut-être même, aux dires de certains, que smartphones et e-readers pourraient bien ne faire qu’un au final (nous en avons un avant goût avec l’iPhone).
Dans ce contexte, la problématique n’est pas seulement celle de l’évolution des pratiques de lecture, mais peut-être, au-delà, de la survivance de la lecture (comme activité de lire) à une mutation des livres qui s’apparente de plus en plus à une robotisation (la machine connectée lit pour le lecteur et externalise sa mémoire ; en poussant le curseur de la prospective sur le plus long terme, et compte tenu des avancées rapides des biotechnologies, pourquoi ne pas imaginer alors carrément un jour des lecteurs qui deviennent livres et vice-versa : une (con)fusion livre/lecteur !).
Déjà, pour les jeunes générations, le terme “lecteur” désigne de moins en moins souvent une personne qui lit, et, de plus en plus fréquemment, un appareil qui déchiffre (lecteur MP3, lecteur DVD, e-reader, et tutti quanti).
Notons au passage que les lecteurs MP3 marquent un net recul de la qualité d’écoute. Alors, quid, au cours du siècle, de la qualité de lecture ?
La question, selon moi, pour moi, se pose. Et les réponses, à mon avis, ne doivent pas être laissées à Google, à Amazon, aux fabricants de lecteurs (sic ;-( aux lobbyistes et aux contrôleurs de gestion. Ce sont aux acteurs, de ce qui est encore quelque part la “chaîne du livre”, ceux que j’appelle fréquemment : les acteurs de l’interprofession du livre, des auteurs aux libraires, en passant, bien évidemment, par les éditeurs, de répondre.
Ce serait à eux d’apporter des réponses, notamment en innovant : en développant au cœur de leurs pratiques les processus d'innovation latents, en concevant de nouvelles offres éditoriales innovantes avec leurs propres chaînes de valeur, en pérennisant leurs avantages concurrentiels acquis, en réponse aux hégémonies technicistes. La tâche est immense, la responsabilité est grande au regard de l’Histoire : du passé, et, de l’à venir.
[N.B. © Photo Olivier Ezratty / CES 2010]
Deux commentaires ou plutôt trois !
RépondreSupprimerSur un point de détail (important, certes) : la terminologie.
Pour bien comprendre que la lecture sur dispositif numérique inclut
- d'une part le conteneur : e-reader que, de plus en plus on nomme "liseuse" (le terme m'apparaît, dans le contexte un bon choix) ;
- par ailleurs le contenu : e-book que nous traduisons par "livrel", pour livre électronique.
L'essentiel n'est pas là ! Que la lecture reprenne des couleurs est bien là le fond du problème
Remarque 2 - Innover est le pivot, tu as raison, Lorenzo.
Ce qu'il reste à inventer (entre autres ) : des repères pour le lecteur (l'humain), à savoir, retrouver (et s'y retrouver) une ergonomie conforme à notre "culture" de la lecture sur papier :
1 - une mise en page adaptée aux "liseuses" ;
2 - une possibilité de changer au grès de l'humeur et, au-delà, en fonction du type de lecture (par exemple une typo "bâton" pour les ouvrages techniques et un Times/Georgia pour la littérature) ;
3 - un repère qui situe la portion de texte consultée : la pagination : suis-je à la page 13, 59 ou 233 et pour mieux en appréhender la localisation par rapport à l'intégralité du texte : un marquage du type 13/456.
Il y a à des pistes éligibles à l'innovation !
Enfin, dernier point : (et ça c'est inlassablement obsessionnel chez moi, tu le sais !) : redistribuer les cartes (répartir équitablement les ressources issues de la vente d'un ouvrage print ou électronique). Car il est incompréhensible que l'auteur soit indéfiniment un laisser pour compte !
Et pour illustrer mon propos, voici un lien qui positionne bien les trois acteurs en fonction de leurs champs de compétences/d'excellence :
RépondreSupprimerhttp://www.lemonde.fr/technologies/infographie/2010/01/23/apple-google-et-microsoft-des-rapports-de-force-fluctuants_1295554_651865.html#ens_id=1247939