samedi 25 août 2012

Semaine 34/52 : Le livre comme partition

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon ressenti personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 34/52.
 
Dans la nuit de mercredi à jeudi j’ai refait un rêve que j’avais déjà fait il y a quelques mois et dont je n’avais pas parlé ici.
Cette fois-ci il m’a davantage marqué, peut-être parce que je le ressens maintenant comme en écho à ce passage des Chroniques martiennes de Ray Bradbury que j’ai lu depuis : « … on pouvait voir Mrs. K dans sa pièce personnelle, en train de lire un livre de métal aux hiéroglyphes en relief qu'il effleurait de la main, comme on joue de la harpe. Et du livre, sous la caresse de ses doigts, s'élevait une voix chantante, une douce voix ancienne qui racontait des histoires du temps où la mer n'était que vapeur rouge sur son rivage et où les ancêtres avaient jeté des nuées d'insectes métalliques et d'araignées électriques dans la bataille. » (Chroniques martiennes, Ray Bradbury, 1946, traduction de l'américain par Jacques Chambon et Henri Robillot).
Ceux qui lisent le langage écrit de la musique, le solfège, pour eux, des portées muettes aux autres, se déploient des cathédrales de sons ; comme d’autres univers surgissent aussi de ces écrits magnifiques de la fiction et de la philosophie, qui jouent eux aussi comme des partitions, et répartissent d’un côté de l’autre les non-lecteurs et les lecteurs et parmi ceux-là encore en fonction de leurs appétences et de leur degré de compétence sur l’échelle de la littératie (« aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d'étendre ses connaissances et ses capacités. » OCDE, juin 2000, La littératie à l’ère de l’information).
 
Le rêve du livre métamorphosé
 
Dans mon rêve donc, je débarque comme cela je ne sais où et je ne sais quand, un peu comme cet explorateur dans La colonie pénitentiaire de Kafka, et qui lui découvre une machine sophistiquée qui tue les condamnés en écrivant sur leur peau même, les motifs de leur condamnation.
Ce qu’il faut savoir pour comprendre ce rêve je pense, c’est ma souffrance à l’idée de mourir certainement un jour sans la possibilité de pouvoir revenir dans 300, 500, 700 ans, juste pour voir comment le livre et la lecture auront changé.
Alors, en rêve, me revoilà donc, bien plus tard, et ils m'accueillent gentiment, à peine surpris il me semble. Quand je leur demande où sont leurs livres, où sont les livres, d'abord ils me regardent avec un drôle d'air. Ils ne comprennent pas de quoi je veux parler ! Je leur explique ce à quoi je pense, ce que je veux voir, pourquoi je reviens, et alors, au bout d'un moment, il me semble qu'ils comprennent enfin. Ils sont alors à la fois moqueurs et respectueux je crois. Ils me répondent que cela a bien changé. Beaucoup. Qu'ils n'appellent plus cela "livre". Je crois aussi comprendre de ce qu'ils essaient de m'expliquer que la lecture ne s'appelle plus non plus "lecture", et ne ressemble plus tellement à l'activité que je déployais lorsque je lisais, il y a plusieurs siècles, dans les lointaines années 2010... Ils me disent comment maintenant ils appellent les "livres". Je leur avoue spontanément que cela ne me serait jamais venu à l'esprit. Ils me sourient. Enfin, ils m'emmènent en voir un.
Je savais bien que les papillons n'étaient pas des chenilles avec des ailes. Je savais que le papillon est peut-être le rêve de la chenille. Je le savais. De mon vivant j'avais pris conscience qu'entre une tablette d'argile et un volumen la différence était radicale. Entre un volumen et un codex... Mais la pagina subsistait. Mais… Ils me le montrent.
Le livre, métamorphosé, sature mon attente. Effet de sidération. Total. De mon vivant jamais je n'aurais imaginé cela. Le livre comme interlocuteur. Ils rigolent bien tous en voyant ma stupéfaction et ma maladresse à entamer un dialogue avec lui. Je me réveille porteur d’un étrange sentiment de tristesse.
 
Retour en 2012. Il y a les miroirs, les écrans, et les murs. Le “à-lire” ferait toujours miroir. Même lorsqu’il exhibe, l’écran masque, et le mur toujours empêche ; seul le miroir réfléchit, nous renvoie toujours notre propre image, notre regard qui est un miroir lui aussi. Comme nos rêves.

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