Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque
semaine un billet exprimant mon ressenti personnel sur la semaine précédente,
dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du
livre et de l’édition.
Ce post est donc le 34/52.
Dans la nuit de mercredi à jeudi j’ai refait un rêve que
j’avais déjà fait il y a quelques mois et dont je n’avais pas parlé ici.
Cette fois-ci il m’a davantage marqué, peut-être parce que
je le ressens maintenant comme en écho à ce passage des Chroniques
martiennes de Ray Bradbury que j’ai lu depuis : « … on pouvait
voir Mrs. K dans sa pièce personnelle, en train de lire un livre de métal aux
hiéroglyphes en relief qu'il effleurait de la main, comme on joue de la harpe.
Et du livre, sous la caresse de ses doigts, s'élevait une voix chantante, une
douce voix ancienne qui racontait des histoires du temps où la mer n'était que
vapeur rouge sur son rivage et où les ancêtres avaient jeté des nuées d'insectes
métalliques et d'araignées électriques dans la bataille. » (Chroniques
martiennes, Ray Bradbury, 1946, traduction de l'américain par Jacques
Chambon et Henri Robillot).
Ceux qui lisent le langage écrit de la musique, le solfège, pour
eux, des portées muettes aux autres, se déploient des cathédrales de
sons ; comme d’autres univers surgissent aussi de ces écrits magnifiques
de la fiction et de la philosophie, qui jouent eux aussi comme des partitions, et
répartissent d’un côté de l’autre les non-lecteurs et les lecteurs et parmi
ceux-là encore en fonction de leurs appétences et de leur degré de compétence sur
l’échelle de la littératie (« aptitude à comprendre et à utiliser
l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la
collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d'étendre ses
connaissances et ses capacités. » OCDE, juin 2000, La littératie à
l’ère de l’information).
Le rêve du livre métamorphosé
Dans mon rêve donc, je débarque comme cela je ne sais où et
je ne sais quand, un peu comme cet explorateur dans La colonie pénitentiaire de
Kafka, et qui lui découvre une machine sophistiquée qui tue les condamnés en
écrivant sur leur peau même, les motifs de leur condamnation.
Ce qu’il faut savoir pour comprendre ce rêve je pense, c’est
ma souffrance à l’idée de mourir certainement un jour sans la possibilité de pouvoir
revenir dans 300, 500, 700 ans, juste pour voir comment le livre et la lecture
auront changé.
Alors, en rêve, me revoilà donc, bien plus tard, et ils m'accueillent
gentiment, à peine surpris il me semble. Quand je leur demande où sont leurs
livres, où sont les livres, d'abord ils me regardent avec un drôle d'air. Ils
ne comprennent pas de quoi je veux parler ! Je leur explique ce à quoi je
pense, ce que je veux voir, pourquoi je reviens, et alors, au bout d'un moment,
il me semble qu'ils comprennent enfin. Ils sont alors à la fois moqueurs et
respectueux je crois. Ils me répondent que cela a bien changé. Beaucoup. Qu'ils
n'appellent plus cela "livre". Je crois aussi comprendre de ce qu'ils
essaient de m'expliquer que la lecture ne s'appelle plus non plus
"lecture", et ne ressemble plus tellement à l'activité que je
déployais lorsque je lisais, il y a plusieurs siècles, dans les lointaines
années 2010... Ils me disent comment maintenant ils appellent les
"livres". Je leur avoue spontanément que cela ne me serait jamais
venu à l'esprit. Ils me sourient. Enfin, ils m'emmènent en voir un.
Je savais bien que les papillons n'étaient pas des chenilles
avec des ailes. Je savais que le
papillon est peut-être le rêve de la chenille. Je le savais. De mon
vivant j'avais pris conscience qu'entre une tablette d'argile et un volumen la
différence était radicale. Entre un volumen et un codex... Mais la pagina
subsistait. Mais… Ils me le montrent.
Le livre, métamorphosé, sature mon attente. Effet de
sidération. Total. De mon vivant jamais je n'aurais imaginé cela. Le livre
comme interlocuteur. Ils rigolent bien tous en voyant ma stupéfaction et ma
maladresse à entamer un dialogue avec lui. Je me réveille porteur d’un étrange
sentiment de tristesse.
Retour en 2012. Il y a les miroirs, les écrans, et les murs.
Le “à-lire” ferait toujours miroir. Même lorsqu’il exhibe, l’écran masque, et
le mur toujours empêche ; seul le miroir réfléchit, nous renvoie toujours
notre propre image, notre regard qui est un miroir lui aussi. Comme nos rêves.
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