lundi 7 septembre 2009

Critique du dossier Science&Vie : La lecture change, nos cerveaux aussi !

J'ai été contraint d'acheter en kiosque le numéro de septembre du magazine Science & Vie, seulement pour pouvoir y lire leur dossier sur la lecture, lequel, en ligne sur science-et-vie.com est... illisible !
Bonheur des paradoxes qui me permet aujourd'hui cette confrontation critique entre : l'édition papier, l'édition en ligne, et l'émission radio dédiée.

Version papier d'abord
"Nous n'avons jamais autant lu. Et l'écran change profondément notre façon de lire." Soit. Mais, sans vouloir pinailler, j'aurais aimé que ce dossier aille au-delà des constats. Tant les références historiques que la dimension prospective sont floues, et je m'étonne aussi de l'absence de toute bibliographie ou lien Web. Pas la moindre citation, par exemple, du livre de Stanislas Dehaene : Les neurones de la lecture.
Si, pour Thierry Baccino (directeur au Laboratoire des usages en technologies d'informations numériques) : "tout laisse à penser qu'il n'existe pas de processus cérébraux spécifiques à la lecture sur écran comparée à la lecture sur papier", Philippe Testard-Vaillant, le journaliste de Science & Vie en charge de la première partie du dossier, fait bien de signaler l'étude américaine du Semel Institute for Neuroscience and Human Behavior, de l'université de Californie, laquelle étude démontre que la consultation d'informations sur le Web, solliciterait plus particulièrement certaines zones du cortex frontal.
Je retiens ici la pertinence de l'observation, comme quoi, celui que j'appelerai le "Web-lecteur", n'est plus "guidé par les lignes composant le texte [mais doit] construire son chemin de lecture".
Au-delà de ce dossier de vulgarisation pour le grand public, il faudrait je pense bien distinguer les problématiques posées, d'une part, par la lecture sur écran, et, d'autre part, par la lecture hypermédia et les nouvelles pratiques de lecture, issues, non "des écrans" en général, et encore moins des fameux "readers e-paper" en particulier (Cf. la deuxième partie du dossier Science & Vie), mais, bel et bien issues du Web 2.0.
J'espère que nous irons un jour plus loin que les simples constats, et que nous ne concevrons plus les e-books comme, simplement, des machines à afficher des copies numérisées de livres papier, mais, comme des dispositifs pour optimiser la lecture.
Comment lisons-nous ?
Ce dossier de Science & Vie nous le rappelle. Au cours d'une lecture nos yeux perçoivent le texte lu par blocs de quatre lettres en moyenne, et ce, durant des laps de temps de l'ordre de 250 millisecondes. Ce processus s'entraîne lui-même, en repérant dans le même temps les blocs de lettres limitrophes, anticipant ainsi continuellement sur le prochain cliché de 250 millisecondes. Et ainsi de suite...
Il devrait être possible un jour, comme je l'écrivais en avril 2009 dans Réflexions sur la prospective du livre (sur Facebook) : "d’optimiser les nouveaux dispositifs de lecture en fonction des capacités sensorielles des lecteurs humains ? De leurs dispositions naturelles, de vision, de décodage, d’attention, etc. ? Serait-il envisageable de contrôler l’activité neuronale mise en jeu lors de la lecture ? Pourrait-on concevoir des dispositifs de lecture intelligents, capables de s’adapter à différents profils de lecteurs ? D’enrichir l’expérience de lecture ? De remplir des fonctions didactiques, ou bien de leurrer leurs lecteurs par le jeu de simulations et d’illusions les détournant du sens spontanément décodé ? Des livres psychotropes qui provoqueraient des expériences de lecture immersive ? Dans le cadre d’une convergence entre canaux plurimédias, réalité augmentée et intelligence artificielle, les livres de demain pourraient-ils être des dispositifs exocéphales de décodage du monde, des fabriques à sens ? Se pourrait-il que l’évolution des dispositifs de lecture induise à terme des mutations de certaines fonctions cognitives chez les lecteurs ?"
Ces questions se posent, mais, il faudrait certainement être plus modeste en 2009, et commencer par pratiquer le Web design comme une nouvelle typographie appliquée aux e-books. Sortir de ce réflexe absurde du copié-collé, et de vouloir reproduire sur écrans ou sur e-paper les mêmes mises en page que celles des livres et des journaux.
Je relèverai enfin, pour conclure sur ce dossier papier, les réflexions de Charles Tijus sur la prochaine "perte d'habituation au livre papier [qui] rendra probablement difficile la lecture statique, longue, attentive...".
Car, en effet, comme il le souligne justement : "la lecture assistée, interactive et interopérable entre contenus et supports [...] va probablement donner des habitudes que n'offre pas le livre classique."

Version Web ensuite
En l'occurence la lecture sur écran ne serait guère plus fatigante, considérant que le papier glacé du magazine Science & Vie génère nombre de reflets. Bien plus que de l'e-paper par exemple ;-)
Mais, malheureusement, le parti pris de reproduire strictement la mise en page papier, jusqu'à l'effet des pages que l'on tourne, nuit gravement à la lisibilité et à la compréhension des contenus.
La navigation sur ce "reader en ligne" devient périlleuse, la lecture pénible, les bonus perdent l'intérêt qu'ils auraient pu apporter. Aucun enrichissement réel donc, si ce n'est, mais justement pas pour le lecteur (j'en suis un exemple) la nécessité de devoir acheter en kiosque le magazine ;-(
C'est à mon sens un rendez-vous raté, car c'était là un beau challenge de mettre en pratique la complémentarité print/Web pour la presse magazine.
Un simple PDF enrichi, qui soit un complément et non une copie du dossier papier, aurait été plus pertinent et aurait pu appuyer, par l'exemple, les propos tenus par les spécialistes (là, c'est le contraire :-(

Version audio enfin
Incontestablement l'émission partenaire Tout s'explique (animée par Fabienne Chauvière sur France Inter, émission du 28 août 2009, 14H00) est bien plus didactique que le dossier papier.
Thierry Baccino du Lutin-UserLab  y est plus direct sur l'avenir du livre papier comme dispositif de lecture. En disant clairement que : "Le son est un plus. La vidéo est un plus. L'image est un plus... On peut enrichir l'information..." il prône une écriture hypermédia, même s'il met, fort légitimement, en garde contre la "désorientation cognitive" qui peut en découler.
En fait, à mon humble avis, il suffirait simplement qu'auteurs et éditeurs du 21e siècle dépassent la phase du copié-collé, et, hiérarchisent, structurent, réfléchissent a priori les parcours de lecture induits.
A noter, avant de conclure, que Thierry Baccino voit loin ;-) Il évoque clairement des écrans-dispositifs de lecture 3D, puis holographiques, et déclare réfléchir déjà avec son équipe à ce que pourrait être un jour la présentation de livres en 3D.

En conclusion...
Mon classement serait :
- 1 : Version audio
- 2 : Version magazine papier
- 3 : Version Web.
Et vous ?

3 commentaires:

  1. Ah la bonne radio à papa! Mais la radio n'a pas tué le livre et les journaux, ça se saurait! France-Inter en tueur de papier, nous voilà bien! En tout cas d'accord avec toi, pour une ergonomie de lecture satisfaisante sur le web, tout est dans les logiciels, il faut des outils très simples et intuitifs, c'est pas très réussi en l'espèce. J'avoue que Thierry Baccino est passionnant et ça joue également pour beaucoup dans l'appréciation, non?

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  2. @ Aldus : Bienvenue Hervé :-) Oui cela joue également : j'avoue que le coup du livre 3D ça me plait, c'est mon côté "Alice aux Pays des Merveilles", bon OK, les livres sont déjà en 3D, mais il est clair que nous pensons à AUTRE CHOSE comme dispositif de lecture ;-)

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  3. oui à l'idée qu'il faut ajuster à la vue-cerveau de la personne pour un contenu donné ! Tous lecteurs mais tous différents ! L'eBook rend possible de quitter la typo identique pour tous les lecteurs ! (la Ford T noire a vécu, n'est ce pas ? ).

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